"Pour un Service public national d'Enseignement supérieur et de Recherche laïque, démocratique et émancipateur"
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Un communiqué de presse de la Cour des Comptes du 14 mars 2025 rappelle que depuis 2022 ont été mis en place de « véritables contrats d’objectifs et de moyens pluriannuels, gages de clarté, d’efficacité, de performance » (COMP) entre l’État et les universités. Ces COMP ne concernaient jusque-là qu’environ 1 % du budget des établissements. Mais dans une déclaration du 8 avril 2025, le ministre Philippe Baptiste annonçait que dès 2026, ces COMP porteraient « sur 100 % de la subvention pour charge de service public (SCSP) des universités ». Les universités des régions Nouvelle-Aquitaine et Provence-Alpes-Côte d’Azur seront des établissements pilotes dès 2025. C’est un palier important dans l’entreprise de destruction du service public d’enseignement supérieur et de recherche, un levier pour mener une politique néfaste pour les personnels et les étudiant·es qui consiste à placer l’enseignement supérieur et la recherche au service du patronat.
Jusqu’en 2009, les normes de San Remo permettaient en théorie l’adéquation des budgets en fonction des besoins des établissements (notamment par la prise en compte du nombre d’étudiant·es).
De 2009 à 2014, le système SYMPA (!) introduit le principe de « performance » et impose donc une liste d’indicateurs à suivre. Depuis 2014, il n’existe plus de système pour ainsi dire automatisé, mais les budgets se discutent lors des « dialogues de gestion ». La création de COMP partiels, représentant moins de 1% du budget, date de 2023 ; leur expérimentation n’est pas encore évaluée. L’enveloppe devait être allouée en trois étapes : 50 %, 30 % puis 20 % « si l’objectif est atteint ». Mais mis en place dans l’urgence (« déploiement rapide de ces instruments ») et sans concertation, des retards de paiement ont tout bonnement empêché la réalisation des projets prévus !
Malgré cela, le rapport de la Cour des Comptes propose la généralisation du financement des universités par des COMP à 100 %.
La SCSP (subvention pour charge de service public) consistait à ce que l’État finance les établissements en fonction de leurs besoins afin qu’ils puissent remplir les missions qui lui sont assignées par ce même État, y compris le traitement des fonctionnaires. Ce financement s’avérait notoirement insuffisant, certes ; mais désormais, avec les COMP, le gouvernement fixera des « objectifs » et financera ou pas en fonction de la réalisation d’objectifs mesurés par des « indicateurs ». Nous ne serons donc plus des établissements « jouissant de l’autonomie pédagogique et scientifique » mais de simples opérateurs de l’État, voire des prestataires de service… Les missions clairement circonscrites dans le Code de l’Éducation feront place aux objectifs mouvants et indéterminés de gouvernements parfois instables.
Une politique d’indifférenciation entre public et privé a déjà commencé (voir notre dossier sur le sujet) qui pourrait être considérablement renforcé par le projet de loi dit de « modernisation de l’enseignement supérieur ». Considérer que les EESPIG (Établissements d’enseignement supérieur privés d’intérêt général) concourent aux objectifs de politique d’enseignement au même titre que les universités ne fait qu’accentuer cette dérive vers la marchandisation de l’ESR. En effet, si les établissements d’ESR ne sont plus que des prestataires de service, alors ces prestataires peuvent être tout aussi bien de statut privé que public. Or, les deux systèmes ont une différence essentielle : l’enseignement public répond à un intérêt collectif d’augmentation des connaissances, tandis que l’enseignement privé cherche à développer l’investissement individuel de tel ou telle étudiant·e et vise un objectif unique : celui de la rentabilité.
La Loi Responsabilités des Universités (LRU) a imposé aux établissements une « autonomie » en trompe-l’œil : en dehors de l’autonomie de la masse salariale, le reste se réduit à gérer le sous-financement chronique de l’État. Les COMP ne changent pas cette logique, mais ils accentuent à la fois cette soit-disant autonomie des établissements (puisque le financement sera décorrélé du plafond d’emplois État) tout en accentuant la pression de l’État sur l’action des établissements, puisque c’est lui qui en fixera les objectifs (par exemple la fermeture de formations qui ne répondraient pas suffisamment aux dits objectifs).
Un contrat se construit entre deux ou plusieurs parties qui sont libres de contracter ou non, de choisir leur cocontractant, d’en déterminer le contenu et la forme. L’abus de langage étant le sel de la langue technocratique, on relèvera que l’aspect contractuel est purement théorique puisque le gouvernement a la main sur la partie moyens, qu’il peut donc imposer ses objectifs et ne pas poursuivre le financement si la « performance » n’est pas au rendez-vous – selon ses propres indicateurs !
L’État se désengage de plus en plus du paiement de ses fonctionnaires, comme le montre la non compensation de la revalorisation du point d’indice et de l’augmentation du CAS pension. Le COMP peut s’avérer un moyen de pression sur le temps de travail des personnels et fait courir le risque d’une impossibilité de paiement des traitements des agent·es. En effet, si l’« objectif » n’est pas atteint, il est prévu que l’État ne finance pas les derniers 20% du COMP – alors que la masse salariale des établissements représentent entre 80 et 85% de leur budget.
Nos établissements fonctionnent déjà (mal) avec une part très importante de personnels contractuel·les. À moyen terme, si les établissements deviennent des prestataires à géométrie variable, il y a fort à parier que le nombre de postes de fonctionnaires ne fera que diminuer. à la Poste, dont le corps de fonctionnaire est en voie d’extinction.
À la demande du gouvernement, les établissements développent depuis quelques années une logique de « marque » qui ne fait qu’accentuer la logique de concurrence nationale et internationale des établissements d’enseignement supérieur. Or, le service public doit délivrer des diplômes sur l’ensemble du territoire ; et une telle politique de concurrence va à l’encontre des politiques de coopération nationales et internationales, si efficaces pourtant au niveau de la recherche.
Dans le cadre des COMP, le terme de « marque », dont l’aspect commercial n’échappe à personne, a fait place à la « signature ». « La première partie du contrat consiste à définir une « signature » pour l’établissement, les incitant à s’interroger sur leurs forces et leurs faiblesses, mais aussi à identifier les spécificités leur permettant de se distinguer notamment au plan international, de leur offre de formation ou en matière d’excellence de la recherche. Cette signature sert ensuite de fil rouge aux actions proposées », dit le rapport de la Cour des Comptes (p. 12). La même logique de concurrence sera exacerbée par les COMP à 100 %. Or, il se trouve que les étudiant·es ne sont pas des « clients » ni les personnels de l’ESR des marchands de soupe...
La logique adéquationniste entre formations de l’ESR et besoins du patronat n’est pas nouvelle (elle est à la base tant du sur-développement éhonté de l’apprentissage que de l’imposition par « blocs de connaissances et compétences » dans l’offre de formation). La toute-puissance de l’indicateur « insertion professionnelle » dans l’évaluation des formations est bien la « signature » de la politique du gouvernement pour l’ESR. Il ne s’agit pas ici de remettre en cause la mission d’insertion professionnelle, qui correspond à une réelle demande sociale en ces temps de destructions des emplois et du travail. Mais cette insertion professionnelle ne peut en aucun cas être la seule mission de l’enseignement supérieur (cf. Code de l’éducation) or c’est la seule mission évaluée et pour laquelle il y a des indicateurs !
Les COMP à 100% accentuent cette dérive néo-libérale : https://www.vie-publique.fr/discours/298358-conseil-280420-adapter-appareil-de-formation-aux-besoins-de-l-economie. En favorisant une logique de contractualisation plus territorialisée, prenant notamment en compte les bassins d’emploi, en incluant dans la discussion stratégique les partenaires locaux des universités, à commencer par les collectivités territoriales, et en donnant le pouvoir de négociation aux rectorats, le gouvernement impose une visée qui entre totalement en contradiction avec la délivrance de diplômes nationaux. D’autant plus que les conseils régionaux et le patronat local font partie de l’instance de discussion au côté des rectorats.
L’insertion professionnelle dépend avant tout de la vitalité économique d’une région et pas de ses Licences ou Master universitaires ! Un patron n’embauchera pas s’il n’a pas besoin de salarié·e, quelle que soit la qualité de la formation. Quid de la mobilité tant vantée par ailleurs, si les diplômé·es sont bloqué·es sur leur territoire ? Quid de l’articulation entre formation initiale visant à qualifier sur le long terme et l’évolution très rapide des besoins des employeurs ?
Adapter l’offre de formation aux besoins du secteur économique conduira (et conduit déjà) à fermer des formations « non essentielles », dont on estime qu’elles ne répondent pas aux besoins de l’économie (ALL-SHS notamment) au détriment de leur utilité sociale.
Le pilotage de la politique gouvernementale de l’ESR repose sur Quadrant, « outil d’analyse de la performance en terme de réussite étudiante et de l’insertion professionnelle » (communiqué de la Cour des Comptes). Alors même que cette même Cour reconnaît ses sérieuses limites : « les données de performance ne tiennent pas compte du contexte socio-économique des formations priorisées et notamment du profil et du niveau des étudiants accueillis dans les formations et du dynamisme ou non du marché de l’emploi local. […] En matière d’insertion professionnelle, seules les sorties en emploi salarié en France sont prises en compte à ce jour, ce qui peut être problématique pour les formations tournées vers l’international, mais aussi pour celles dont l’insertion en emploi peut relever pour tout ou partie de statut libéral ou indépendant » (rapport de la Cour des Comptes p. 23). Quadrant Conseil est un cabinet privé, issu d’un autre cabinet privé, Euréval. Que font dans nos ministères des cabinets privés rapteurs de budgets tandis que fondent comme neige au soleil les moyens de l’ESR ?
Une large partie de la Recherche est déjà orientée sur le développement économique (innovation, ingénierie, développement de start-up...). C’est méconnaître totalement la fonction sociale de la science que d’oublier l’importance de la recherche fondamentale ! Pour rendre possible l’application et le développement, il est nécessaire de se fonder sur une recherche libre (si personne n’avait coupé les financements sur les coronavirus, nous n’aurions pas traversé de la même façon le désastre du Covid). Or, les COMP vont accentuer la main-mise du gouvernement et du patronat sur la recherche. Dans les COMP actuels, l’un des indicateurs est le taux de réponse auprès de l’European Research Council : cela accentue l’aspect concurrentiel plutôt que la coopération, et le système d’appel à projet plutôt que des financements pérennes.
Seule la mobilisation des personnels et des étudiant·es permettra de lutter efficacement contre les COMP et leurs menaces contre nos statuts et nos missions. Rejoignez la CGT pour défendre nos statuts et nos conditions de travail, pour obtenir un service public d’enseignement supérieur gratuit, laïque et émancipateur !