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vendredi 21 février 2025

Enseignement supérieur privé : quelles conséquences sur les étudiant·es ?

Amandine Renault, Syndicat CGT FERC Sup de l’université d’Aix-Marseille

Endettement, qualité de la formation, validité des diplômes, fermetures intempestives, quelles sont les conséquences de l’enseignement supérieur privé sur les étudiant·es ?

Faut-il s’endetter pour étudier dans le privé ?

En France, essentiellement lié aux frais de vie (logement, alimentation, transport, etc.), l’endettement concernerait entre 10 % et 12,5 % de la population étudiante [1]. Dans l’enseignement supérieur privé, compte-tenu des frais de scolarité élevés, parfois exorbitants, on peut facilement imaginer qu’un certain nombre de jeunes ont recours à un emprunt. Selon l’Observatoire de la Vie Etudiante, 11 % des effectifs en école de commerce auraient contracté un prêt, contre 6 % en école d’ingénieurs et 4,5 % à l’université [2]. En général, les frais d’inscription dans les établissements privés, notamment les écoles de commerce, atteignent 3000 à 10 000 euros par an [3]. En 2022, l’enquête menée par le Bureau national des étudiants en école de management, auprès de 3 800 étudiants, révélait que 57 % d’entre eux s’étaient endettés pour rejoindre des écoles de commerce [4].

Des frais de formation élevés sont-ils gages d’enseignement de qualité ?

En 2018, la loi ORE (« Orientation et Réussite des Etudiants ») instaure Parcoursup. A partir de 2021, l’intégration, dans la plateforme, de formations dispensées par des établissements privés qui ne sont ni sous contrat avec l’État ni d’intérêt général, est désormais autorisée. Jusqu’alors, en ce qui concerne le privé, seuls les Établissements d’Enseignement Supérieur privé d’Intérêt Général (EESPIG), sous contrat avec l’état, étaient autorisés à y être répertoriés. Le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche a organisé une belle campagne publicitaire gratuite pour ces formations privées, qu’il met directement en concurrence avec les formations publiques. En mars 2024, le 6ème rapport du comité éthique et scientifique de Parcoursup consacre un chapitre entier sur la place occupée par les formations privées sur la plateforme. Il précise que :
« Les chiffres […] illustrent en effet, à eux-seuls, l’importance prise par l’offre privée sur la plateforme Parcoursup. Ainsi, en 2023, 22 % des formations présentes sur Parcoursup hors apprentissage sont portées par des établissements privés ; quant aux formations en apprentissage, ce sont 69 % d’entre elles qui sont dispensées par des établissements privés. » [5] Ces formations n’apportent pourtant aucun gage de leur qualité : une seule inscription au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) - c’est-à-dire une certification délivrée en fonction du taux d’employabilité déclaré par les diplômé·es à la fin de leur cursus - les autorise à apparaître sur la plateforme ; mieux, une école qui a décroché un titre RNCP peut le louer à d’autres écoles ! Un business juteux ! Comme le souligne un article de Libération : « Un titre RNCP se loue en moyenne dans les 10 % du chiffre d’affaires. Une école qui facture l’année de scolarité 6000 euros reverse au loueur 600 euros par élève… » [6]. En 2021, le Ministère lui-même reconnaissait ne pas avoir la main sur les contenus de formation. Aujourd’hui, ce système est une aubaine pour les groupes financiers, les fonds d’investissement, celles et ceux qui sont prêts à tout pour la rentabilité et la quête d’argent.

Qu’en est-il de la validité des diplômes ?

« Diplôme visé, diplôme d’État, diplôme « reconnu par l’État », titre certifié, inscrit au RNCP, délivrance ou pas des grades, bachelor, master/mastère, établissement labellisé, accrédité », ces mentions volontairement ambiguës prêtent bel et bien à confusion quant à la reconnaissance des diplômes délivrés. Fin 2022, la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes a enquêté sur 80 établissements supérieurs privés apposant les labels « contrôlés par l’État » [7]. Elle constate qu’un tiers (30%) de ces établissements adoptent des pratiques commerciales trompeuses relatives à la valeur des diplômes délivrés. Par exemple, les enquêteurs ont identifié l’utilisation de termes tels que « licence », « master » ou « doctorat » ou d’un terme approchant, sans que l’établissement y soit pourtant habilité. Au final, plus de 56 % des 80 établissements contrôlés se sont avérés être en anomalie. Dans son rapport « Apprendre à vivre ensemble », la médiatrice de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur indique que les saisines relatives à l’enseignement supérieur privé ont eu un taux d’augmentation très important depuis 2017 (+ 346 %) : « Certains requérants ont eu la mauvaise surprise de constater que le diplôme obtenu ne leur permettait pas d’emprunter la voie choisie à l’issue d’un cursus parfois long et coûteux. À la déception s’ajoute la colère : en témoignent les demandes d’indemnisation portées par des étudiants en conflit avec leur établissement, en particulier des organismes qui proposent des formations exclusivement attachées à un titre RNCP, souvent dénommées « bachelor » ou « mastère » entretenant une ambiguïté avec le système universitaire » [8].

Fermetures intempestives : quand étudiant·es et personnels se retrouvent sur le carreau

En février 2023, le Campus Academy d’Aix-en-Provence, école privée faisant partie d’un réseau lancé en 2019 par Michel Ohayon (un homme d’affaire, une des plus grandes fortunes de France), fermait ses portes laissant ses étudiant·es sans diplôme et sans établissement de rattachement, en plein milieu d’année. Une plainte pour escroquerie a été déposée par 35 des élèves qui ont déboursé jusqu’à 15 000 €, perdu plusieurs années d’études et qui se retrouvent sans diplôme [9] [10] . Quid du réseau ? Nantes : fermé, Rennes, fermé, Lyon, fermé, Angers, fermé, Toulouse ? En janvier 2024, à Paris, Architektôn, une prépa d’architecture à presque 7 000 € l’année, ferme subitement. Comme pour Campus Academy, les étudiant·es et les personnels sont laissés sur le carreau. Le gérant « s’est fait la malle », le préjudice pour les enseignant·es et parents d’élèves est estimé à 364 000 € [11]. D’autres structures dont l’homme avait la charge sont aussi concernées. Vet’Etudes, prépa en ligne au concours d’entrée des écoles vétérinaires, a subi le même sort. En à peine dix ans, M’hamed Hammi a fondé plusieurs sociétés – au sein de deux groupes nommés « Prépa Enseigna » et « Peces » – liées au secteur des cours particuliers et de la préparation aux études supérieures… [12].

Voilà, l’enseignement supérieur public est à vendre… Les politiques publiques successives ont organisé sa démolition et ont ouvert en grand la porte au privé, à la spéculation sur l’enseignement. A la CGT FERC Sup, nous défendons un enseignement supérieur national, gratuit, laïque, de haut niveau, démocratique et émancipateur. Nous demandons la stricte application de l’article 13 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 :
« La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État ». Les politiques publiques doivent protéger les activités d’enseignement de toute marchandisation [13].