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Le 11 avril 2025, dans une tribune publiée dans Libération, François Hollande et Éric Berton (Président de l’université d’Aix-Marseille AMU) proposent de créer un visa spécifique de « réfugiés scientifiques » pour les chercheur·ses Etats-Unien·nes contraint·es à l’exil par l’administration Trump. « Cela permettrait de les accueillir dans de bonnes conditions, tout en favorisant l’innovation, la diplomatie scientifique. » Cette proposition s’inscrit dans la continuité de l’appel « Safe Place for Science », lancé par Eric Berton lui-même quelques semaines plus tôt pour accueillir une quinzaine de chercheur·ses au sein de l’AMU, empêché·es dans leurs travaux portant entre autres sur le climat, l’épidémiologie, le genre, etc. Depuis, l’université a reçu plus de 300 candidatures et a déjà accueilli une première chercheuse.
Un appel à la solidarité scientifique internationale salutaire
AMU, terre d’accueil pour des « réfugiés scientifiques ». Un terme qui semble approprié au regard des dérives fascistes qui attaquent la recherche scientifique aux États-Unis, en particulier dans les disciplines qui mettent à mal l’ultra conservatisme et les « faits alternatifs » sur lesquels reposent l’idéologie trumpiste. Concrètement, ces attaques visent principalement les recherches sur les effets du changement climatique, la santé, les maladies infectieuses, les épidémies, l’égalité, le genre, les minorités, etc… Des sujets cruciaux dont les entraves ont conduit à l’interdiction absurde d’au moins 120 mots pour les demandes de subventions et publication officielle, comme « femme », « climat » ou « handicap ». Cette censure se matérialise aussi par le démantèlement programmé d’instituts de financement de recherche, des tutelles fédérales qui ne répondent plus aux mails, des comités de suivi des subventions ajournés, des licenciements, des bourses supprimées, des pages internet et des données effacées, etc… Un processus de destruction déjà bien avancé et qui risque d’affecter durablement l’ensemble du système éducatif et universitaire aux USA.
Dans ce contexte, il convient de saluer toute démarche visant à préserver les chercheur·ses et leurs travaux et à créer des espaces de connaissances indépendants des pressions autoritaires du pouvoir. Face à l’obscurantisme américain, offrir un statut et un « refuge scientifique » à des chercheur·ses censuré·es voire menacé·es, pour des travaux qui servent à l’ensemble de l’humanité, sont des initiatives à encourager sur l’ensemble du territoire français et européen. Là n’est pas le problème.
Des moyens débloqués importants en contradiction avec le contexte d’austérité d’AMU
Une solidarité salutaire certes, mais des montants et une réactivité qui interrogent tant ils s’inscrivent en contradiction avec les coupes budgétaires qui vont toucher l’ensemble des universités françaises dans les mois à venir. Concernant AMU, c’est 15 millions d’euros qui vont être débloqués et seront pris sur les 26 millions d’euros annuels du fonds d’initiative d’excellence « Amidex ». Son vice-président, Denis Bertin, a déclaré que « chaque chercheur bénéficiera d’un budget compris entre 600 000€ et 800 000 € sur trois ans (…) incluant le salaire estimé à hauteur de 250 000 € ». Soit entre 6000€ et 7000€/mensuel. Certes, les salaires américains consacrés aux chercheur·ses sont bien plus élevés qu’en France, mais 7000€ par mois c’est environ 2 fois plus que le salaire médian pour les chercheur·ses français·es titulaires (3264€ net mensuel selon l’INSEE).
Difficile de ne pas s’étonner de la disponibilité des moyens débloqués, quand en parallèle, notre syndicat alerte sur les appels à l’aide de nombreux·ses collègues et la situation catastrophique de départements et de services entiers.
Difficile aussi de ne pas tiquer sur la différence de traitement avec l’augmentation continue du nombre de postes d’enseignant·es vacataires à la fac effectuant des tâches ponctuelles souvent sans contrat de travail pour des salaires en dessous du SMIC horaire et des délais de paiement qui prennent des mois.
Difficile enfin, de ne pas se questionner sur l’écart entre les montants annoncés pour l’accueil des réfugié·es scientifiques et la volonté d’AMU d’augmenter les droits d’inscription pour les étudiant·es étranger·ères hors UE par 4 voire par 16 en cas de redoublement, à la rentrée 2025-26.
Des éléments qui entrent en contradiction avec le dynamisme affiché de la présidence à la suite de l’appel « Safe Place for Science ». Dans un article accordé à Midi Libre, Eric Berton se félicite de la réactivité dont lui et son équipe ont fait preuve, puisqu’« en quatre jours, nous avons mis en place un programme. Nous avons identifié les financements, structuré la communication, et le 6 mars après-midi, nous avons lancé l’appel. Le soir même, nous recevions une première candidature » (2), qui sera choisi en fonction « des ressources et projets des laboratoires d’AMU », dans des domaines tels que l’ARN messager ou le changement climatique par exemple.
Parmi ces candidatures, des profils « d’excellence scientifique » de chercheur·ses de Yale ou Stanford, pour lesquels Eric Berton considère qu’« il est difficile de concevoir qu’un pays (les Etats-Unis) puisse ainsi mettre de côté un savoir aussi précieux » (3). Une opportunité trop belle de profiter de cette fuite des cerveaux inversée donc. L’occasion aussi peut-être, de redorer l’image de la recherche d’AMU, entachée ces dernières années par « la gestion du cas Raoult ».
Incohérences gouvernementales
Enfin, comme preuve ultime du succès de cette initiative, les ministres de l’éducation nationale (Elizabeth Borne) et de l’enseignement supérieur (Philippe Baptiste) ont fait le déplacement à Marseille le 13 mars dernier. Ils ont confirmé la volonté de la France de soutenir l’accueil des chercheur·ses américain·es en difficulté… sans pour autant préciser les moyens que l’État comptait y consacrer pour le moment. En parallèle, le député David Amiel (député Renaissance de Paris) a déclaré sur X vouloir proposer « un crédit d’impôt (sur le revenu) chercheurs » pour les scientifiques américain·es souhaitant s’installer en France afin de « soutenir leur niveau de vie pendant 4 ans ». Concrètement, cela signifie réduire le montant de leurs impôts. Et continuer à fermer les yeux sur le sous financement chronique de la recherche et les universités en France.
Rappelons que le budget adopté par 49-3 en février par le gouvernement pour la recherche et l’enseignement supérieur a été amputé de 1.3 milliard d’euros pour 2025 alors que 80% des universités étaient déjà en déficit en 2024 (contre 15% en 2022) (6).
Dans un souci de cohérence, on ne peut pas s’émouvoir du sort des chercheur·ses américain·es - et profiter de leurs compétences - sans s’inquiéter de la situation de délabrement des universités françaises et sans remettre en question le sous financement structurel qui est en train de les tuer. A cet égard, il faut rappeler l’importance cruciale que représente la recherche des faits scientifiques pour une démocratie. Financer la recherche et ses institutions, c’est lutter contre l’obscurantisme. C’est non seulement offrir un statut de « réfugié scientifique », des conditions de travail de qualité pour des chercheur·ses, d’où qu’ils et elles viennent, mais aussi pour l’ensemble des services, unités et départements. On ne lutte pas réellement contre l’obscurantisme en intervenant en bout de chaîne et en récoltant les fruits que d’autres ont semés.
1. Aix-Marseille université prépare l’arrivée de chercheurs américains avec 15 millions d’euros [Internet]. Marsactu. 2025 [cité 13 avr 2025]. Disponible sur : https://marsactu.fr/bref/aix-marseille-universite-prepare-larrivee-de-chercheurs-americains-avec-15-millions-deuros/
2. midilibre.fr [Internet]. [cité 13 avr 2025]. Donald Trump contre les scientifiques (2/4) : « Nous offrons l’asile scientifique », lance le président de l’Université d’Aix-Marseille aux chercheurs américains. Disponible sur : https://www.midilibre.fr/2025/03/25/donald-trump-contre-les-scientifiques-24-nous-offrons-lasile-scientifique-lance-le-president-de-luniversite-daix-marseille-aux-chercheurs-americains-12580141.php
3. Rousseau A. Challenges. 2025 [cité 9 avr 2025]. « Nous représentons un asile » : Aix-Marseille Université, refuge pour chercheurs américains. Disponible sur : https://www.challenges.fr/grandes-ecoles/jai-parle-mercredi-matin-et-le-soir-javais-deja-une-candidature-aix-marseille-universite-un-refuge-pour-les-chercheurs-americains_600507
4. France Culture [Internet]. 2024 [cité 13 avr 2025]. La France a-t-elle abandonné ses chercheurs et ses universités ? Disponible sur : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/questions-du-soir-le-debat/la-france-a-t-elle-abandonne-ses-chercheurs-et-ses-universites-3591184
5. Rabu C. Mediapart. 2025 [cité 9 avr 2025]. Amputé de plus d’un milliard d’euros, l’enseignement supérieur manifeste. Disponible sur : https://www.mediapart.fr/journal/france/110225/ampute-de-plus-d-un-milliard-d-euros-l-enseignement-superieur-manifeste
6. France Culture [Internet]. 2025 [cité 13 avr 2025]. Université : vivre ou survivre ? Disponible sur : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/etre-et-savoir/universite-vivre-ou-survivre-3955803