"Pour un Service public national d'Enseignement supérieur et de Recherche laïque, démocratique et émancipateur"
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Syndicat CGT FERC Sup des travailleur·es de l’Université Paris 8
Lettre ouverte aux personnels de Paris 8
Bonjour à vous. Je suis Christine Roquet, ex présidente du Conseil de perfectionnement de l’UFR Arts, ex et future responsable de la Licence Danse, ex et future responsable du département Danse, tout cela dépendant du programme de la tournée des responsabilités organisée collectivement dans mon département… Je m’adresse à vous pour vous parler du « plan étudiants [1] » de la réforme Vidal.
Vous n’êtes pas sans savoir que cette réforme se situe dans la droite ligne des réformes Pécresse et Fioraso qui l’ont précédée ; la réforme Vidal n’est qu’une étape dans l’entreprise de destruction massive de l’université telle que nous tous nous la désirons : ouverte, gratuite, laïque, démocratique et émancipatrice. Bref, un service public national digne de ce nom.
Un collègue de Philosophie expliquait récemment que sur son bulletin de terminale figurait le commentaire suivant : « inapte aux longues études », il est aujourd’hui un brillant maître de conférences dans notre université. Pensez-vous que le destin de nos jeunes doive être gravé dans le marbre dès l’âge de 17 ou 18 ans, voire bien avant ? Notre jeunesse n’aurait-elle pas le droit à l’erreur ou à l’hésitation ? Le bac doit disparaître, paraît-il, mais que serait devenu ce même élève qui passa avec succès le bac en candidat libre si le contrôle continu avait été imposé alors ?
Nous pensons sans doute que nos propres enfants seront à l’abri de la sélection sociale qui sera renforcée par ce « plan étudiants ». Nos métiers ne nous conduisent-il pas à regarder autre chose que notre nombril et à œuvrer pour le bien du plus grand nombre, car c’est un bien de pouvoir faire des études à l’université, même si on change de voie en cours de route ! A moins de penser que ce que nous faisons, construire, transmettre et diffuser des savoirs, ne serve à rien ?
En toute illégalité, alors que la loi n’avait pas encore été votée, le gouvernement a exigé les « attendus » de nos licences ; des chantages obscurs ont lieu (des postes contre l’augmentation des capacités d’accueil de certaines licences, comme quoi, des postes et de l’argent il y en a !) ; un surcroît de travail va nous être imposé (alors que nous sommes déjà au bord du supportable !) ; il n’y a aucun moyen pour accompagner la soit-disant « orientation » des étudiants et le marché privé des « coach en orientation » fleurit, à près de 1000 euros la prestation [2]… Le Rectorat obligera en définitive à intégrer les étudiants que nous aurons refusés… Notre capacité à nous courber devant les injonctions du Ministère aura servi à quoi ? Posons-nous la question. Et relevons la tête.
Ne devrions-nous pas réclamer des moyens, des bâtiments, le recrutement de personnels BIATOSS par l’ouverture des concours nécessaires, des postes, plutôt que de regarder s’organiser la destruction totale de l’enseignement supérieur ? On nous rebat les oreilles avec l’argument financier ; comme à l’hôpital, dans les transports ou à la Poste, les gestionnaires prennent déjà le pouvoir, que nous leur laissons… Or, il est possible de financer l’accompagnement des étudiants en difficulté, de financer des postes de fonctionnaires, qu’ils soient enseignants ou BIATOSS, avec le Crédit d’Impôt Recherche, qui n’est jamais que de l’argent qui nous est volé par les entreprises !!!
Je vous parlais d’une étape, dans un long processus de libéralisation et de marchandisation, je vais donc vous citer ces quelques mots du programme de nos gouvernants tirés du « vademecum des propositions de la CPU pour l’enseignement supérieur et la recherche ». Le texte se trouve en page 10 et 11 et date de mai 2017. Autant dire que le texte date d’hier et que l’application du programme est pour demain :
« Il semble nécessaire de modifier le statut des EC [enseignant·es-chercheur·es] concernant la durée et le calcul du temps de travail (…) La question se pose de ne plus faire référence à un nombre d’heures mais plutôt à une activité à remplir, quelle qu’en soit la forme. (…) Il [faut] une autonomie et une individualisation des services et innover en matière de référentiel d’activités ».
Je me permets de vous signaler qu’un projet de « référentiel enseignant » est en préparation, en ce moment même, tant au niveau local qu’au niveau national… Savez-vous ce qu’implique la modulation des services des EC ? Vous êtes responsable de Licence, vous croulez sous les charges (préparation du LMD, organisation des études, problèmes avec Apogée, commission pédagogique etc.) donc pendant ce temps vous ne pouvez quasiment plus faire de recherche –vous savez, cette fameuse recherche à propos de laquelle, justement, le comité de sélection qui vous a choisi.e a tant insisté- et bien, votre service sera « modulé » : considéré.e comme non publiant au bout de ces deux ans ? Et bien, vous aurez alors davantage de cours à donner et/ou de travail administratif à faire ! Et donc encore moins de temps pour la recherche !!! Qui en décidera ? Non pas vous-mêmes mais l’établissement qui aura tout loisir de trier entre le bon grain et l’ivraie puisque : « le cadre du recrutement des personnels doit être assoupli pour mieux respecter l’autonomie et la stratégie des établissements [3] ».
Ne soyez pas jaloux chers collègues BIATOSS, il y en a aussi pour vous : plus bas le texte évoque « la déconcentration de la gestion des personnels et l’harmonisation de la gestion des personnels BIATSS ». Que se cache-t-il sous ces vocables de « déconcentration » et « d’harmonisation » ? Réfléchissons-y… « La CPU souhaite que les établissements aient plus de latitude pour la création d’emplois fonctionnels [4] », de la latitude pour embaucher des vacataires, des contractuel.le.s taillables et corvéables à merci… Avec « parcoursup », qui aura à gérer l’afflux démultiplié des dossiers de candidature ? Qui sera aux avant-postes pour renseigner les étudiant.e.s ? Qui sera considéré comme responsable si les renseignements transmis ne correspondent pas à leurs choix ?
Alors, les prochaines étapes sont claires : création de diplômes locaux, augmentation des frais d’inscription pour les étudiants et destruction de notre statut d’enseignant.e-chercheur.e. Déjà, à l’université de Nice, 13 master « normaux » ont été fermés, fermeture compensée par l’ouverture de 13 master « d’excellence » (IDEX) à 4000 euros l’inscription. Cette université à deux vitesses, Excellence d’un côté, la valetaille de l’autre, est-ce celle que nous voulons ?
Le droit à l’éducation est un droit fondamental. Ne pas résister à la mise en place du « plan étudiants » revient à l’accepter et à dénier la jouissance de ce droit aux jeunes des classes populaires, à nos jeunes ! Ne sait-on pas que la licence Alstom ou Carrefour ça ne fonctionne pas ? Que l’insertion professionnelle de celles et ceux qui seraient « inaptes aux longues études » est favorisée lorsque leur formation professionnelle est accompagnée d’une formation générale ? Les facultés d’adaptation, d’analyse, de prospective, l’ouverture d’un esprit critique sont le fait d’une formation générale. Pourquoi brider encore davantage l’accès à l’université pour les enfants du peuple ? Introduire la sélection, sous une forme ou une autre, pour l’entrée à l’université, constitue une rupture du traitement d’égalité du service public. Réfléchissons ensemble à ces questions fondamentales et refusons de participer à cette entreprise de destruction programmée de l’enseignement supérieur et de la recherche !
Le 22 mars, utilisons notre droit de grève pour descendre dans la rue, allons exprimer ensemble notre profond désaccord !
St Denis, le 5 mars 2018
La CGT FERC Sup de Paris 8
[1] https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid122054/le-plan-etudiants-accompagner-chacun-vers-la-reussite.html
[2] Cf. « Une profession ? L’orientation ! » in L’Humanité dimanche, n°22363, p. 41.
[3] Proposition 29 du Vademecum CPU, page 9
[4] Proposition 35 du Vademecum CPU, page 11.