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Menu ☰Accueil > Les dossiers > Enseignement supérieur > Le sécuritaire > ZRR : Lettre ouverte au Ministre de l’ESR sur le soupçon d’instrumentalisation
Monsieur le Ministre,
Lors du CSA-MESR du lundi 26 mai 2025, interrogé sur le sujet et bien que votre Ministère ait déposé un mémoire en défense dans le référé sur le sujet, vous avez souhaité des précisions. Les voici.
Une chercheuse, docteure en mathématiques, a été recrutée sur un post-doctorat dans un laboratoire d’informatique à l’université de Bordeaux au mois de mars 2025. Elle n’a pas pu commencer son contrat, car l’accès à son laboratoire classé Zone à régime restrictif (ZRR) lui a été refusé dans le cadre du dispositif de protection du potentiel scientifique et technique de la nation (PPST). Ce dispositif vise à prévenir les quatre risques suivants (circulaire interministérielle du 7 novembre 2012) :
La chercheuse en question a été recrutée pour une recherche sur les débats autour des impacts environnementaux de l’intelligence artificielle. Un tel sujet de recherche ne permet à l’évidence de soulever aucun des quatre risques ciblés par le dispositif.
Le profil de la chercheuse recrutée ne présente pas davantage de quelconque élément permettant de penser que sa présence dans ce laboratoire d’informatique permettrait une atteinte au potentiel scientifique et technique de la nation. Elle ne présente aucune des caractéristiques récurrentes dans les décisions de refus d’accès.
Faute d’avis motivé de son refus, nous en sommes réduits à formuler des hypothèses : les seules explications à son éviction semblent être son engagement aux côtés des Soulèvements de la Terre (qui n’est pas une organisation terroriste, faut-il vous le rappeler ?), à moins que ce ne soit un sujet de recherche qui pourrait être vu comme dérangeant par le gouvernement. Nous sommes donc en présence d’une atteinte manifeste aux libertés fondamentales (discrimination politique par un refus d’embauche en raison de son engagement écologiste) ou aux libertés académiques (censure d’un sujet de recherche).
Or, l’avis rendu par le ministre « a pour seul objet de vérifier, sous le contrôle, le cas échéant, du juge de l’excès de pouvoir, les risques que ces personnes pourraient présenter au regard d’une éventuelle ingérence étrangère ou menace terroriste et ne saurait reposer sur une appréciation des mérites scientifiques de leurs travaux » (décision du Conseil d’État du 11 mars 2025, no 495971). Cette chercheuse ne présente manifestement aucun risque au regard d’une éventuelle menace étrangère ou menace terroriste, et aucun élément n’a pour l’instant été produit pour établir cette menace, même devant le tribunal administratif.
M. le Ministre de l’ESR, nous vous demandons instamment de revenir sur votre décision dans les plus brefs délais concernant la collègue : manifestement, ce refus est injuste et sans doute illégal. Nous irons jusqu’au bout du contentieux si cela s’avérait nécessaire, jusqu’à ce que ses droits élémentaires soient respectés et qu’il soit mis fin à cette atteinte grave aux libertés fondamentales. Mais il nous semble que la situation mérite d’être réglée par le haut dès que possible.
Et plus généralement, M. le Ministre, en tant que garant des libertés académiques, nous vous demandons de réviser le cadre des ZRR dans l’ESR public.
D’une part, les refus d’accès aux ZRR, d’autant qu’ils ne sont pas motivés, permettent des dérives sérieuses, dont on ne fait que commencer à voir les effets. Ces décisions ne peuvent en aucun cas avoir pour effet d’interférer dans le choix des objets et pistes de recherche.
D’autre part, votre gouvernement étend massivement les ZRR depuis quelques années : en juillet 2024, il y avait 931 laboratoires en ZRR comprenant 38.000 personnels, avec 150 à 200 laboratoires en attente.
Les ZRR, sauf situation exceptionnelle, contreviennent à la nécessaire collaboration libre entre chercheurs et restreignent de plus en plus le cadre de la recherche publique, bien au-delà des nécessités prévues au départ. Nous vous demandons d’arrêter l’extension des ZRR et de revenir aux seuls laboratoires où elle serait utile.
Dans l’attente de votre réponse, et sachant pouvoir compter sur votre action, veuillez croire, Monsieur le Ministre, en notre indéfectible attachement au service public de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et recevez nos salutations syndicales,
Le secrétaire général de la CGT FERC Sup
Voir la lettre au format pdf.
Voir aussi notre fiche ZRR "Les zones à régime restrictif (ZRR) - Fiche pratique et revendications".