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Menu ☰Accueil > Les dossiers > Enseignement supérieur > Le sécuritaire > Les zones à régime restrictif (ZRR) - Fiche pratique et revendications
« Il existe aujourd’hui 931 ZRR (dont 201 créées en 2023), réparties dans 66 établissements. Environ 38 000 personnes y ont accès. Au total, 17 843 demandes d’accès ont été examinées en 2023, faisant systématiquement l’objet d’une instruction par la DGSI. Parmi elles, 470 demandes ont été refusées. La Ministre Sylvie Retailleau, lors de son audition, a précisé que : « Pour les États les plus sensibles, le nombre d’avis réservés et défavorables a dépassé le nombre d’avis favorables ». Le détail des refus d’accès en fonction des pays d’origine n’a cependant pas été communiqué à la commission d’enquête, au motif qu’il serait couvert par le secret de la défense nationale. [...] Environ 150 à 200 ZRR seraient aujourd’hui en attente [de création NDLR], ordre de grandeur confirmé par la Ministre au cours de la même audition. »
Extrait d’un rapport de la commission d’enquête du Sénat : Lutte contre les influences étrangères malveillantes. Pour une mobilisation de toute la Nation face à la néo-guerre froide - juillet 2024.
Les ZRR ont été créées par le décret n° 2011-1425, puis précisées par l’arrêté du 3 juillet 2012 « relatif à la protection du potentiel scientifique et technique de la nation » (toutes les références sont listées en fin d’article). Une ZRR est, dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR), un espace de recherche (une unité de recherche, un laboratoire) où s’applique un « dispositif interministériel de protection du potentiel scientifique et technique de la nation » (PPST).
Un tel dispositif a été conçu pour protéger la France d’une captation d’informations scientifiques ou technologiques sensibles qui pourraient menacer sa « compétitivité », participer à l’élaboration d’une arme ou être utilisées à des fins terroristes.
Une ZRR est, dès lors, placée sous une série de contrôles et de restrictions de type militaire et sécuritaire qui sont autant de contraintes et de limitations pour l’activité de l’unité de recherche (UR) et des personnels de tous statuts (y compris les doctorant·es, salarié·es ou non, et les stagiaires) qui y travaillent de façon ponctuelle ou régulière. Les infractions à ces contraintes sont sévèrement punies par le Code pénal (voir ci- dessous). Certaines ZRR peuvent être placées en « protection renforcée », avec des contraintes encore plus fortes.
Le décret de 2011 a été renforcé par le décret n° 2024-430 sur les autorisations d’accès aux ZRR qui donne le pouvoir de décision au ministre. Un arrêté du 24 octobre 2024 a complété et modifié l’arrêté du 3 juillet 2012 en ajoutant des contrôles particulièrement intrusifs dans la vie professionnelle et privée des personnes ayant accès aux ZRR.
L’initiative peut venir de l’unité de recherche, de l’établissement ou du ministère. La décision est prise par le ou la ministre de l’ESR – la demande peut venir d’un autre ministère (affaires étrangères, armée, industrie…) – via un arrêté, en concertation avec la ou le chef d’établissement, sous la coordination du Haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère de rattachement. Il n’y a pas de procédure imposée et la décision peut être prise de façon autoritaire, sans même que les personnels concernés soient consultés ni préalablement informés. Il n’y a pas de passage obligatoire devant le CSA d’établissement ni aucune autre instance de l’établissement : l’invocation de la « sécurité nationale » crée un régime dérogatoire.
Un arrêté de 2012 a donné en annexe une liste des « secteurs scientifiques et techniques protégés » : il y en avait 68. L’arrêté modificatif de 2024 en ajoute 20, dont 5 relevant des SHS. Le champ couvert est donc particulièrement large : c’est la majorité des disciplines scientifiques, sections CNU et sections CNRS. Il y a un risque de quasi-généralisation des ZRR dans la recherche.
Le non-respect des restrictions imposées dans les ZRR tombe sous le coup du Code pénal : l’article 413-7 punit les personnes qui pénètrent -ou cherchent à pénétrer- sans autorisation dans une ZRR d’une peine de 6 mois d’emprisonnement et 7 500 € d’amende, et l’article 411-9 va jusqu’à 15 ans de détention criminelle et 225 000 € d’amende pour des faits de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation.
« L’accès à une ZRR, qu’il soit physique ou virtuel, pour y effectuer un stage, y préparer un doctorat, y participer à une activité de recherche, y suivre une formation, y effectuer une prestation de service ou y exercer une activité professionnelle est soumis à l’autorisation du chef du service, d’établissement, après avis favorable du ministre chargé d’en exercer la tutelle, avant d’être autorisée par le chef d’établissement. » [FAQ du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale].
Cela concerne donc tout le monde, y compris les personnels en poste avant le passage en ZRR, y compris les fonctionnaires titulaires, même à statut particulier comme les enseignant·es-chercheur·ses. Une vérification pour obtenir l’accès est faite à chaque changement d’emploi (ex. doctorant → ATER) ou de grade (MCF CN → MCF HC).
Pour obtenir cette autorisation, il faut faire une demande via le/la responsable de l’UR ou la/le chef d’établissement. Une première série d’informations très développées à caractère professionnel est demandée (relatives à l’identité et à la nationalité du demandeur, à son parcours universitaire et professionnel, à ses titres et travaux, à l’établissement français d’accueil souhaité et l’employeur d’origine, aux raisons de la demande, au but et au contenu de l’activité projetée, ainsi qu’aux intérêts et affiliations du demandeur avec des organisations étrangères ou sous contrôle étranger, comprenant les avantages reçus d’organisations étrangères ou sous contrôle étranger, publiques ou privées, y compris les bourses d’études et de recherche).
Une deuxième série d’informations très développées à caractère professionnel et privé peut être exigée sous 15 jours (domicile précédent, résidence secondaire ou occasionnelle, y compris à l’étranger, voyages et séjours à l’étranger durant les cinq dernières années, nom, prénom, nationalité et employeur actuel ou dernier employeur du conjoint et nom, prénom et nationalité des parents). Ces informations complémentaires ne peuvent être demandées que « si elles sont strictement nécessaires à l’instruction de la demande » [art. 2 de l’arrêté du 3 juillet 2012 modifié].
Une fois l’autorisation obtenue, le bénéficiaire doit déclarer obligatoirement, de sa propre initiative et de façon permanente : « ses liens professionnels ou personnels avec un État étranger, une entreprise ou organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou un ressortissant d’un État étranger ; ses activités professionnelles sur le territoire national en lien avec l’activité principale exercée au sein de la zone à régime restrictif » [art. 4 de l’arrêté du 3 juillet 2012 modifié].
Tout projet de collaboration internationale doit être signalé et soumis à contrôle.
Enfin, le système d’information (réseau informatique, connexions, e-mails, etc.) doit alors être conforme à l’Instruction interministérielle n° 901/SGDSN/ANSSI du 28 janvier 2015 relative à la protection des systèmes d’information sensibles.
Le/la responsable de l’UR est chargé de toute une série de surveillance et de comptes-rendus de ces surveillances aux autorités de tutelle, notamment le Haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère de rattachement. Il ou elle doit « prendre toute disposition utile pour assurer la protection des informations concernées » [art. 6, I de l’arrêté du 3 juillet 2012 modifié] par le PPST, c’est-à-dire potentiellement l’ensemble des informations scientifiques, dont les méthodes et résultats de recherche. Il ou elle doit appliquer les refus d’autorisation d’accès décidés par le ou la ministre.
Ce contrôle de la diffusion des informations scientifiques et techniques peut ainsi conduire à une limitation voire une interdiction de l’expression des personnels et notamment des chercheur·ses et enseignant·es-chercheur·ses, jusque dans leurs enseignements. Lorsqu’il s’agit d’interventions à l’étranger, très fréquentes car l’internationalisation de la recherche est valorisée : « les services compétents du ministre concerné doivent être également informés de tout projet de conférence et de séminaire et d’inscription aux formations relatif au secteur scientifique et technique protégé ».
Des exemples de transposition de ce contrôle existent déjà dans des activités internationales, nationales ou locales :
Ces mesures entrent directement en contradiction avec des normes juridiques supérieures, notamment avec la décision n°83-165 DC du 20 janvier 1984, par laquelle le Conseil constitutionnel a indiqué que « les fonctions d’enseignement et de recherche non seulement permettent mais demandent, dans l’intérêt même du service, que la libre expression et l’indépendance des personnels soient garanties par les dispositions qui leur sont applicables ». Cela impose, de fait, une valeur constitutionnelle au décret n°84-431 du 6 juin 1984 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs et portant statut particulier du corps des professeurs des universités (élargi au corps des maîtres de conférences en 1987, puis à l’ensemble des enseignant·es et chercheur·ses en poste à l’Université par la Loi de Programmation de la Recherche en 2020). Ces dispositions statutaires constitutionnelles et légales établissent que « Dans l’accomplissement des missions relatives à l’enseignement et à la recherche, ils jouissent, d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression », voir l’article L952-2 du Code de l’éducation. Les seules limitations sont « les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du Code de l’éducation, les principes de tolérance et d’objectivité » art. 2 décret 84-431.
Les mesures ZRR-PPST sont d’autant plus abusives que leur élargissement à de très nombreuses disciplines, bien au-delà de recherches directement liées à la défense militaire et à la sécurité nationale, est clairement disproportionné. On peut même considérer que cet élargissement relève d’une instrumentalisation de la notion de ZRR et de PPST pour tenter, par une nouvelle voie parmi tant d’autres, de restreindre les libertés académiques, l’indépendance de la recherche scientifique et la liberté d’expression des chercheur·es et enseignant·es- chercheur·ses. On observe en effet depuis plusieurs décennies, au sein d’idéologies politiques autoritaires, une tendance très forte pour réduire et contrôler l’indépendance et la liberté d’expression des universitaires (nombreuses procédures « bâillon » par exemple).
En dehors des questions de recherche et d’enseignement, les conséquences concrètes sont néfastes et innombrables : limitations et biais dans les recrutements, enquêtes intrusives dans la vie des collègues, complications des interventions pour travaux, dérives sécuritaires des systèmes informatiques, risque de discrimination à l’origine, restrictions abusives de déplacement, de prise de parole, restriction d’accès à des sites, autocensure… Ce cadre permet de pénaliser de nombreuses activités professionnelles, voire revendicatives.
Volontairement ou juste par « commodités », l’administration peut être amenée à passer des bâtiments, des sites voire des organismes entiers en ZRR (comme à l’INRIA). En cas de passage d’une unité de recherche en ZRR, des collègues peuvent en être exclus : les contractuels risquent le licenciement ; les titulaires pourraient être contraint de changer d’unité. Dans les procédures de recrutement, si l’affectation est ZRR, la nomination peut être refusée par le haut fonctionnaire défense sécurité sans justification, au seul titre de la PPST.
De plus, les représentant·es des organisations syndicales, les membres de la FS-SSCT, la médecine du travail, n’ont plus de libre droit d’accès pour vérifier les conditions de travail des personnels.
Dès 2014, la CGT a demandé « instamment que les laboratoires de l’ESR ne soient pas soumis au dispositif ZRR, à l’exclusion évidemment de ceux qui pourraient travailler directement pour la défense nationale ». D’autres syndicats de l’ESR avaient fait des demandes similaires.
La CGT FERC Sup et le SNTRS-CGT rappellent leur attachement indéfectible aux libertés de recherche, d’enseignement et d’expression universitaire, qui doivent prévaloir. Elle est donc opposée aux restrictions imposées par les ZRR. Elle considère inacceptable la politique d’extension des ZRR à l’œuvre.
En octobre 2024, elle a adressé un courrier en ce sens au ministre de l’ESR et elle est intervenue, en appui aux élu·es au CA, auprès du président de l’université de Lille qui s’apprêtait à faire voter un modèle de règlement intérieur particulièrement attentatoire aux libertés académiques pour les UR placées en ZRR. Cette intervention a été couronnée de succès puisque le président de l’université a été convaincu et a retiré son projet.
Cette position est partagée par de nombreuses organisations au sein de l’ESR. Ainsi, par exemple, l’Assemblée des Directions de Laboratoires a engagé un recours contre les ZRR auprès du Conseil d’État, qui a été rejeté en mars 2025 mais confirme que les refus d’autorisation peuvent être contestés au tribunal administratif.
Par ailleurs, a minima, il nous semble nécessaire que tout passage d’une unité de recherche en ZRR soit soumis au CSA et/ou à la FS-SSCT, en tant que modification substantielle de l’organisation du travail.
La section CNU 25 (mathématiques) a publié une motion où elle « rappelle son attachement à une recherche mathématique ouverte sur le monde et la société et à la circulation des idées scientifiques, principes qu’un passage en ZRR des laboratoires de mathématiques mettrait nécessairement à mal. La Conférence des présidents de sections du Comité national (CPCN) du CNRS, le Conseil scientifique de l’INRIA, la Société Informatique de France, ont déjà émis de vives critiques contre ce régime. »
Le Conseil scientifique de l’institut des sciences de l’information du CNRS a demandé un moratoire sur la création des ZRR en 2019. L’INRIA (organisme de recherche) risque pourtant de passer intégralement en ZRR en 2025, avec des conséquences lourdes pour toutes les unités mixtes de recherche.
Dans les cas exceptionnels où une protection du type ZRR parait justifiée, la protection doit être ciblée pour ne protéger que ce qui doit l’être. Le périmètre de protection dit ZRR doit être adapté au juste besoin de protection afin de ne pas perturber le fonctionnement de l’entité ni limiter abusivement les libertés académiques et les droits des personnels. Il revient à l’État, décisionnaire, de prendre en charge les surcoûts liés à la création et au fonctionnement spécifiques d’une ZRR (affichages, badges, sécurité, protection des systèmes informatiques, etc.).
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