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Dominique Épiphane
Sociologue, Ingénieure de recherche au Céreq
© Jeanne Menjoulet - flickr
Tout au long du vingtième siècle, les filles ont massivement accédé à l’instruction publique, d’abord dans l’enseignement secondaire, puis dans l’enseignement supérieur. Très minoritaires au début du siècle, les étudiantes ont égalé en nombre les étudiants à partir de la fin des années 1970 pour les dépasser ensuite (Épiphane, 2017). Depuis, les positions relatives des filles et des garçons face à l’école se sont profondément modifiées, et ce, dans toutes les classes sociales (Duru-Bellat et al., 2001).
Aujourd’hui, le niveau de formation des jeunes est globalement élevé : la proportion de titulaires du baccalauréat dans une génération est passée de 25% en 1980 à 87% en 2020. Majoritaires parmi l’ensemble des bachelier·es depuis plus de quarante ans, en 2019, la proportion de bachelières dans une génération était de 85% versus 74% pour les garçons (DEPP, 2021). De fait, leur présence s’est renforcée dans l’enseignement supérieur, notamment aux niveaux les plus élevés ; en 2020-2021, les femmes représentaient 56% des inscrit·es dans l’enseignement supérieur (Insee, 2022).
On a assisté, ces dernières années à un mouvement de convergence entre jeunes femmes et hommes dans leurs modalités d’entrée dans la vie active. Dans un contexte de crises successives, les unes et les autres n’ont pas été touchés de la même manière par les transformations du marché du travail. D’une enquête « Génération » [1] à l’autre, leurs conditions d’accès à l’emploi se sont rapprochées. Ce phénomène est la conséquence directe d’un accès plus difficile des jeunes hommes au marché du travail au fil des générations, tandis que celui des jeunes femmes s’est amélioré. On peut y lire l’impact du déclin du secteur industriel, à dominante masculine, particulièrement affecté par la crise de 2008 puisque la part des emplois dans l’industrie parmi les jeunes actif·ves a considérablement baissé alors qu’à l’inverse, elle a augmenté dans le secteur tertiaire, profitant ainsi aux jeunes femmes (Couppié et Épiphane, 2019).
Mais ces évolutions indéniables, en termes d’accès au marché du travail, ne doivent pas occulter de forts points de clivages dans les destinées et conditions professionnelles des femmes et des hommes, clivages dus notamment à leurs différences d’orientations scolaires. A l’issue des formations du secondaire, « héritage » d’un système de formation professionnelle très ségrégué, plus de 60% des jeunes femmes occupent des emplois classés dans la catégorie « employé·es », contre moins de 30% des jeunes hommes de mêmes niveaux de formation. À l’inverse, ces derniers investissent toujours massivement les emplois de la catégorie « ouvrier·es » (près de 50% d’entre eux contre environ 10% des jeunes femmes). Du côté des diplômé·es de l’enseignement supérieur, les femmes devraient être plus souvent cadres qu’elles ne le sont : à niveau de diplôme équivalent, elles accèdent moins souvent à cette catégorie que les hommes ; leur surinvestissement éducatif ne se traduisant pas par une amélioration significative de leur situation salariale (Di Paola et Épiphane, 2023).
La dernière enquête « Génération » [2], montre en effet des disparités persistantes entre femmes et hommes parmi les jeunes diplômé·es de l’enseignement supérieur. Ainsi, à l’issue des diplômes de Bac+5 ou plus, qui conduisent le plus fréquemment aux emplois de cadres, on observe un différentiel de 18 points en moyenne entre femmes et hommes (62% versus 80%). Ces écarts sont les plus forts après un Master (19 points) mais restent conséquents à l’issue des écoles de commerce (11 points) et même des écoles d’ingénieurs (8 points) (Épiphane et al., 2023). De surcroît, non seulement les femmes sont moins souvent cadres que leur niveau d’études pourrait le laisser espérer, mais elles continuent aussi d’accuser un retard sensible dès lors qu’il s’agit d’accéder à un poste de cadre associé à une fonction d’encadrement (manager). Les femmes sont susceptibles d’encourir une plus grande défiance des employeurs dès lors que sont en jeu des postes à responsabilités. Le présupposé d’un rapport au travail plus discontinu ou plus lâche des jeunes femmes, du fait de leur implication plus forte que celle de leur conjoint dans la sphère domestique et familiale, peut susciter des comportements discriminatoires à leur égard, en particulier quand il s’agit d’atteindre ces fonctions dont la dimension chronophage constitue un frein potentiel. Ainsi, alors qu’en 2010 les jeunes femmes représentaient près de 55% des sortant·es de l’enseignement supérieur, elles ne constituaient, après sept années de vie active que 40% des cadres managers (Dupray et Épiphane, 2019).
Une recherche auprès de top-managers dans une grande entreprise, a montré comment, malgré une politique soutenue d’égalité professionnelle mise en place depuis le début des années 2000, se fabriquait et se maintenait le plafond de verre (Di Paola et Epiphane, 2020). Cette persistance d’inégalités sexuées dans les carrières s’explique par différentes formes de résistances à l’œuvre. Celles- ci relèvent à la fois de comportements des agent·es mais également de facteurs systémiques imbriqués dans l’organisation du travail, des modèles managériaux et d’évolution de carrières. Pour progresser professionnellement, les femmes continuent de devoir se plier à certaines normes correspondant à un ethos professionnel construit au masculin (disponibilité temporelle et géographique, prégnance des réseaux et de la culture de l’entre-soi conduisant aux recrutements par le jeu des cooptations homophiles…). La permanence de ces normes, apparemment neutres, continuent ainsi à produire une discrimination indirecte. En outre, dans ces environnements virils, les femmes se sentent souvent en terrain hostile et victimes d’une violence symbolique persistante. Par ailleurs, en étant perçue comme une menace par le groupe majoritaire, le contrecoup de la mise en place de dispositifs favorables à l’égalité est un durcissement des résistances masculines aux politiques d’égalité pouvant se traduire par des remises en cause de la légitimité des femmes.
Malgré des avancées réelles, notamment au sein du système éducatif, des disparités sur le marché du travail persistent et, au- delà des diplômes obtenus, le fait d’être une femme ou un homme demeure une dimension fortement structurante de l’insertion professionnelle des jeunes.
Couppié T., Épiphane D., 2019, « Et les femmes devinrent plus diplômées que les hommes... », Céreq-Bref, n° 373.
Depp, 2021, Repères et références statistiques.
Di Paola V., Épiphane D., 2020, « L’accès des femmes au top management.
Quand la banque de financement et d’investissement résiste… », Revue Socio- économie du travail, n° 8, p. 61-89.
Di Paola V., Épiphane D., 2023, « Inégalités de genre en débit de vie active, un bilan décourageant », Céreq-Bref, n° 442.
Dupray A., Épiphane D., 2019, « Femmes managers en début de carrière : une légitimité à conquérir », Céreq-Bref, n° 385.
Duru-Bellat M., Kieffer A., Marry C., « La dynamique des scolarités des filles : le double handicap questionné », Revue française de sociologie, 2001, 42-2, p. 251-280.
Épiphane D., 2017, « Genre et éducation » in Van-Zanten A. et Rayou P. (dir.), Dictionnaire de l’éducation, 2ème édition, Presses Universitaires de France, p. 449- 454.
Épiphane D., Merlin F., Wierup E.-L., 2023, Après l’enseignement supérieur… des parcours professionnels marqués par la crise sanitaire, Céreq Etudes, n° 41.
Insee, 2022, Femmes et hommes, l’égalité en question, collection Insee Références.
[1] Depuis 20 ans, le Céreq interroge régulièrement, les jeunes sur leur parcours d’insertion professionnelle. Les enquêtes « Génération » concerne les jeunes sortant·es de formation initiale et concernent tous les niveaux et domaines de formation. Ce dispositif permet de mieux comprendre la diversité des parcours individuels en début de carrière
[2] L‘enquête « Génération 2017 », a été réalisée en 2020 par le Céreq. Elle est représentative au niveau national des
746.000 jeunes sortant·es de formation initiale durant l’année scolaire 2016-2017. Plus de 25.000 jeunes ont été interrogé·es entre septembre 2020 et mars 2021 sur leurs 3 premières années de vie active.