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mardi 13 février 2024

Analyse du bilan social MESR avec les lunettes de l’égalité femmes/hommes

Camille Borne
Syndicat CGT FERC Sup ENS Lyon
et
Vincent Martin
CGT FERC Sup syndicat UTC

Le rapport social unique (RSU, ex-bilan social) du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (ESR) reste une source d’informations sur laquelle nous pouvons nous appuyer. Avec les lunettes de l’égalité, il est utile pour débusquer toutes les formes de discriminations dont sont victimes les femmes : salaires, indemnités, promotions, temps partiels, précarité, postes à responsabilités, etc. Voici quelques éléments qu’on peut en tirer, sans être exhaustif.

Le dernier bilan social ministériel date de 2019-2020, il est disponible sur https:// www.enseignementsup-recherche.gouv. fr/fr/bilan-social-2019-2020-83381 (environ 300 pages).

Le ministère de l’ESR n’en a pas fourni d’autres depuis 3 ans, ce qu’ont dénoncé les organisations syndicales lors du Comité social du MESR (CSA-MESR) du 11 décembre 2023 [1]. Le RSU ministériel 2020-2021 devrait être présenté en CSA- MESR le 30 janvier 2024 (!).

À noter que certaines universités ne prennent pas la peine de répondre aux enquêtes envoyées par les services du ministère et évitent ainsi de fournir des informations potentiellement gênantes… Conséquence : ceci fausse les données du bilan social ministériel. En attendant d’avoir accès à un système d’information ministériel centralisé et cohérent, ces remontées doivent avoir un caractère obligatoire et non dérogatoire. Nous ne pouvons que conseiller aux élu·es CSA de regarder attentivement leur RSU avec le prisme de l’égalité professionnelle. Chaque paragraphe de ce rapport relève des inégalités conséquentes. Ne pas hésiter à demander aux employeurs quels ont été les leviers et les effets du plan égalité mis en œuvre dans leurs établissements, et, là encore, on se rendra compte que les plans n’ont eu aucun impact concret sur ces différents éléments.

Concrètement, quel bilan sous le prisme des inégalités femmes/ hommes ?

Concernant les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes, le ministère ne fournit que des moyennes qui agglomèrent des disparités énormes. La CGT FERC Sup réclame des données par décile (NOTE de bas de page : décile : Chacune des dix parties, d’effectif égal, d’un ensemble statistique ordonné, Par exemple, le premier décile est le niveau de salaire qui sépare d’un côté les 10 % des salariés les moins bien payés et de l’autre, les 90 % les mieux payés). Malgré cela, le dernier bilan social du MESR (2019- 2020) permet d’avoir un éclairage, certes incomplet, mais significatif (voir les pages 218 et suivantes, rémunération nette moyenne mensuelle) :

■ ENSEIGNANT·ES : un homme gagne en moyenne 3 750 € et une femme 3 373 € (écart moyen de 377 €, soit -10%, contre 388 € pour le bilan social
2018).
■ BIATSS : un homme gagne en moyenne 3 023 € et une femme 2 777 € (écart moyen de 246 €, -8%, en 2020, contre un écart de 221 € en 2018).

Les primes, sources d’inégalité salariale

Les primes individualisées sont l’une des raisons de ces écarts, le bilan social 2019- 2020 l’indique lui-même. Par exemple, avec la Prime d’encadrement doctoral (PEDR), il y a une différence de 300 € en faveur des hommes ; pour la prime de responsabilité pédagogique, la différence est de 100 € en faveur des hommes. Et encore, l’essentiel de l’inégalité n’est pas montré : le bilan social ne fournit pas le nombre d’hommes et de femmes qui touchent cette prime (seulement le montant moyen versé à chaque genre)… Y a-t-il égalité ?

En ce qui concerne le RIFSEEP (régime indemnitaire de la fonction publique, hors enseignant·es), ce système de prime, avec sa part « fonctionnelle » et sa part « résultat », a pour conséquence de casser les garanties collectives et statutaires et d’individualiser les rémunérations. Et cela a un effet spécifiquement négatif pour les femmes : concernant les ITRF, en prenant en compte toutes les indemnités (essentiellement le RIFSEEP), une IGR touche en moyenne 326 € de moins que son homologue masculin (sur 11 600 € annuels, soit -3 %), une IGE 942 € de moins (sur 8 200 €, soit -11 %), une ASI 737 € de moins (sur 6 400 €, soit -11 %), une TECH 648 € de moins (sur 5 300 €, soit -12 %), et une ATRF 66 € de moins (sur 3 200 €, soit -2 %).

On notera, par comparaison, que dans les corps de bibliothèque et d’administration, les inégalités de genre concernant les primes sont presque inexistantes, sauf pour les corps supérieurs d’attachés (635 €, soit -7 % pour les attachées) et de conservateur généraux (-306 € pour les femmes, soit -2 %). La palme de la pire différence, toutes catégories, revient au grade d’attaché d’administration hors classe (les « chefs-chefs » pour qui la prime représente 35 % de la rémunération totale) : les femmes de ce grade touchent 3 089 € de prime de moins que les hommes (sur 17 300 €, soit -18 %) !

Il reste évidemment d’autres questions : plafond de verre, retards de promotions, coupures de carrières… Mais voici un levier immédiat en faveur de l’égalité : il faut supprimer les systèmes de primes individuelles, intégrer les primes statutaires dans le traitement et augmenter massivement le point d’indice !

Certains établissements ne donnent aucune information dans leur bilan social unique, sur la partie indemnitaire « genrée », n’hésitez pas à l’exiger. Vous constaterez que celle-ci penche nettement en défaveur des femmes, à vous de questionner la direction pour en demander les explications et mécanismes de calcul.

La précarité, le temps partiel…

La précarité est particulièrement forte dans notre ministère : sans même compter les innombrables vacataires et les collègues en sous-traitance, parmi les 200 000 agent·es, il y a 34,7 % de contractuel·les (cf. page 19). La précarité touche majoritairement les femmes : dans tout l’ESR, on note que 55,9 % des précaires sont des femmes (soit 70 000 agentes), alors qu’elles représentent 52,7 % de l’ensemble des agent·es. Ces proportions restent stables depuis 2014 (début des données). La situation de précarité a atteint son paroxysme dans les COMUEs (quasiment disparues depuis 2020) avec 86 % de femmes contractuelles. Parmi les BIATSS en CDD, la sur-représentation des femmes s’aggrave par catégorie (cf. p. 87) : ainsi, les femmes représentent « seulement » 57 % des CDD en catégorie A, mais ce taux passe à 68,5 % pour les catégorie B et à 69,7 % pour les catégories C.

La résorption de la précarité favoriserait en priorité les femmes : il faut ouvrir des dizaines de milliers de postes de fonctionnaires, entre autres pour améliorer les inégalités F/H. Ce n’est pas en développant les budgets de l’Agence Nationale pour la Recherche (ANR), qui ne peut financer que des contrats précaires, ni en créant de nouvelles formes de précarité (CDI de mission scientifique, chaires de professeur junior…) que les choses vont s’améliorer.

Enfin, le temps partiel concerne quasi- exclusivement les femmes, tout comme la part des départs, licenciements/radiations (une proportion de 75 % de femmes). Non seulement, elles sont précaires de par leur contrat, mais elles sont aussi plus licenciées que les hommes. Ce dernier pourcentage interroge sur la gestion des ressources humaines dans les établissements. Pourquoi licencie-t-on plus de femmes ?

Conclusion

À l’heure où les nouveaux plans égalité vont être mis en place pour la période 2024-2026, n’hésitez pas à faire évaluer vos actuels plans par des chiffrages précis des mesures censées avoir été prises. On apprend que le Ministère prévoit 2 nouveaux axes :
■ La santé des femmes,
■ La culture de l’égalité (formation, sensibilisation).
Nous bataillerons pour que ces nouveaux axes soient de vrais axes, notamment celui, essentiel, lié à la santé des femmes.
Les rémunérations ne sont pas à la hauteur des qualifications quel que soit le genre, les primes constituent une rémunération
« à la tête du client » dans tous les cas. L’emploi et les rémunérations ne sont pas à la hauteur des enjeux de l’enseignement supérieur et de la recherche quel que soit le genre, mais les femmes « bénéficient » de circonstances aggravantes parce qu’elles sont femmes et cumulent toute la batterie d’obstacles et de discriminations !

1.


[1Voir https://cgt.fercsup.net/ les-dossiers/les-instances/le-ct-
ministeriel-le-csa-ministeriel/article/ csa-mesr-du-11-decembre-2023-ldg- promotions-gaza-declaration-macron- sur-l-esr