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Accueil > l’Echo du Sup > Echo du Sup N° 7 - Dossier "L’enseignement supérieur privé" > Un enseignement « libre » ?

lundi 24 février 2025

Un enseignement « libre » ?

François Poupet, CGT FERC Sup syndicat de Nantes Université

Le mérite d’Amélie Oudea Castera (AOC pour les intimes), ministre très éphémère de l’Éducation Nationale aura été d’être, bien malgré elle, le révélateur d’un entre-soi de l’enseignement privé… La polémique autour de la scolarisation de ses enfants a ouvert la boîte de Pandore des vérités tues d’une élite qui se reproduit en son sein. Tout cela aux frais du contribuable public qui paye pour un séparatisme scolaire et social de plus en plus assumé, voire revendiqué. Et si le combat laïque était une idée neuve ?

De l’argent comme s’il en pleuvait !

C’est un peu abrupt, mais parlons tout d’abord chiffres !
L’enseignement privé, dans le primaire et le secondaire, c’est :
■ 138 800 enseignant·es (en 2021)
■ 2 087 786 élèves (soit environ 17,6 % des 13 millions d’élèves scolarisés).
■ 7500 établissements, à 96 % de confession catholique.
■ 8,98 milliards d’euros de dotations sur le budget [1] du Ministère de l’Éducation Nationale (MEN) [2].
■ 5 milliards d’euros donnés par les collectivités territoriales (mairies, agglomérations, départements, régions).
■ Donc, environ 13,897 milliards d’euros selon les estimations du MEN (Repères et Références Statistiques août 2022 [3]). Bref, presque 14 milliards de fonds publics pour des institutions privées !

À ce Pactole qui représente 73 % du financement total du privé, s’ajoutent les taxes d’apprentissage, les déductions fiscales pour les subventions faites par les particuliers à destination de l’enseignement privé [4]. « Elle n’est pas belle, la vie ? »

« Charité bien organisée… commence par soi-même »

L’école privée est celle de l’entre-soi… Pour preuve, le fait qu’en 2021, elle soit fréquentée à 40,2 % [5] par des familles très favorisées. À 55,4 % par des familles favorisées ou très favorisées… Alors que pour le public, ce taux tombe à 32,3 %. Autre indice de cette endogamie sociale, il n’y a que 11,8 % d’élèves boursiers dans le privé sous-contrat…pour 29,1% dans le public. À l’idéologie (chrétienne, conservatrice), sous-tendue par la scolarisation dans le privé s’est de plus en plus superposée une logique d’intérêts sociaux, de séparatisme implicite. C’est pourquoi l’on ne trouvera pas de SEGPA [6] ni d’ULIS [7] dans le privé, on n’est pas là pour accueillir tout le monde, mais seulement celles et ceux qui souhaitent ne pas se mélanger et vivre sur leur Aventin scolaire [8]. Oui, une partie de la bourgeoisie a fait sécession, et l’enseignement privé fait partie de ses tactiques d’évitement.

Le combat laïque, toujours d’actualité !

Le 19ème siècle est celui d’un bras de fer tenace entre deux camps, celui de la réaction catholique et des conservateurs contre celui des laïques. Les lois Guizot, puis Falloux, ont permis aux catholiques de reprendre pied dans l’enseignement : il y a là une bataille idéologique capitale.

Enseigner, c’est former les esprits, non seulement en termes de spiritualité, mais aussi d’habitus politique, social : contre le projet laïque républicain de Ferry, se dresse un projet d’enseignement conservateur, chrétien, qui permet déjà une forme de séparatisme.

Le grand moment de réaction sera évidemment la période Vichyste qui redonne aux congrégations le droit d’enseigner, et qui permet le subventionnement de l’école privée par l’État et les collectivités, ce qui avait été rendu impossible par les lois de 1882 et la Loi de Séparation des églises et de l’État de 1905. Le projet de l’enseignement privé colle à l’idéologie réactionnaire et fasciste du maréchal Pétain.

La loi Debré, en 1959 [9], sera aussi un grand moment de victoire idéologique pour le clan de l’enseignement privé, qui, en contrepartie d’un contrat, reçoit les subsides publics, gage de sa santé économique et de son développement rendu possible. Le projet libéral des années 80 à nos jours, vise par la suite, à tuer lentement l’école laïque, en l’étouffant sous le feu de réformes successives qui désorganisent le service public, en l’asséchant par des cures d’austérité de plus en plus morbides. Pendant ce temps-là, l’enseignement privé prend des couleurs, est vivifié par la manne publique, devient une échappatoire sociale.

Dans l’Enseignement supérieur, le privé confessionnel continue à se développer. Deux éléments y contribuent singulièrement : la fin du monopole de l’État pour la collation des grades universitaires (l’accord Kouchner / Vatican de 2008 permet la reconnaissance par l’État des grades et diplômes des universités catholiques), et les ComUE, EPE et autres restructurations d’universités qui ont permis aux établissements privés de rentrer dans le giron public.

Pendant deux siècles, le mouvement social et les forces politiques de gauche ont défendu l’école laïque, comme un ferment de construction du citoyen, comme la promesse d’une autre société rendue possible par l’instruction, par l’éducation, par l’ouverture des esprits, par la liberté de conscience… Le combat s’est un peu étiolé depuis quelques décennies, après l’échec de 1984, comme si la question laïque n’était pas aussi centrale que celle de la transformation sociale à laquelle la CGT appelle, comme si « l’émancipation intégrale » inscrite dans la charte d’Amiens, ne s’instillait pas, déjà, à l’école. Il est temps, il est grand temps de reprendre, tous ensemble, le combat, là où il a été laissé. Il est toujours temps de revendiquer un grand service public d’Éducation nationale unifié et laïque ! La vraie séparation du public et du privé (fonds publics uniquement pour l’école publique) et la fin du séparatisme social et scolaire !


[1Sur un budget total de 63,6 milliards d’euros en 2024.

[2Selon le projet de loi de finances 2024.

[5Toutes les données contenues par ce pa- ragraphe sont issues du rapport de la Cour des Comptes du 2 juin 2023.

[6Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté

[7Unité Localisée pour l’Inclusion Scolaire

[9Précédée de la loi Barangé (1951).