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lundi 24 février 2025

L’offensive de l’enseignement supérieur privé

Françoise Morel-Deville, Syndicat CGT FERC Sup de l’ENS de Lyon
Amandine Renault, Syndicat CGT FERC Sup de l’université d’Aix-Marseille

Le privé est parfaitement « armé » pour le choc des savoirs. Il multiplie les stratégies pour prendre d’assaut le marché de l’enseignement supérieur : accès libre dans Parcoursup, formations en alternance, promotions gonflées, coaching, parcours privé : voici quelques exemples de leur grande offensive.

Chaque année, 600 000 lycéen·nes formulent des vœux sur la plateforme d’orientation gouvernementale Parcoursup pour des formations post- bac. Face à la masse d’options disponibles et à l’opacité de l’algorithme qui régit la plateforme, beaucoup d’élèves sont désemparé·es, déçu·es et pour environ 5 % (soit 30 000 jeunes), sans affectation à l’issue de la procédure [1]. Dès sa création en 2018, la loi ORE a permis d’ouvrir très largement l’accès de la plateforme aux établissements privés qui délivrent ou non un diplôme national en convention avec un établissement public ou un diplôme accrédité ou visé par l’État. D’année en année, le nombre de formations proposées s’étoffe (1 sur 5 est privée) [2]. Le nombre d’étudiant·es admis·es dans ces formations explose lui-aussi (+59 % en 5 ans), contre +6 % dans des formations publiques). Aujourd’hui, la part d’admis·e dans un établissement privé représente 14 % des entrant·es dans le supérieur.

Depuis 2019, le secteur privé a profité des mesures gouvernementales pour développer l’apprentissage (voir l’article dédié à l’apprentissage dans le supérieur dans ce dossier p20). Il est ainsi rapidement devenu majoritaire dans les formations professionnalisantes en alternance, celle des bachelors en commerce et management (privés à 98 %), des ingénieurs (70 %), celles liées au travail social (99 %). Les formations en apprentissage sont à 69 % dispensées par des groupes privés lucratifs dont 37 % sont hors contrat avec l’État, (Galileo Global Éducation France en est le leader).

Outre l’arrivée de nouveaux cursus privés sur la plateforme, ce sont les promotions qui sont gonflées pour accueillir plus d’étudiant·es. C’est par exemple le cas des licences (+ 60% d’admis·es en 5 ans), en particulier les L.AS (licences accès santé) proposées par les établissements catholiques (Université catholique de l’ouest, Instituts catholiques de Lille, Lyon, Paris, Vendée, Toulouse et Rennes).

L’offensive privée redouble de stratagèmes pour séduire les lycéen·nes dans leur projet d’études. Avec le bond des conseils à l’orientation, c’est toute l’offre publique qui est pointée comme lacunaire / indigente. D’autant que l’orientation post-bac est de plus en plus précoce dans la scolarité : au lycée avec le choix des spécialités en classe de seconde, en première et en terminale ; au collège, avec les prochaines classes de niveau et avec le verrou du brevet qui conditionnera largement le baccalauréat. A cela s’ajoute une mobilisation plus élevée des catégories socio-professionnelles des parents dans la scolarité de leur enfant. Ces familles ont intégré depuis longtemps que la gratuité des études et l’égalité des chances en France etaient révolue. Elles n’hésitent plus à forcer leur avantage pour pousser les pions de leurs enfants et faire valoir leurs intérêts (le nombre de saisines de la médiatrice de l’éducation nationale pour contester des notes et les évaluations ont été multipliées par sept entre 2017 et 2022). Aujourd’hui, 25 % des élèves étudient dans une école privée, et ce pourcentage augmente chaque année, avec le ralliement des classes moyennes.

Pour le secteur privé, cela signifie que de plus en plus de familles sont prêtes à payer. Les entreprises de conseil ont flairé la bonne affaire et bataillent pour constituer des champions prêts à conquérir le domaine des études supérieures, proposant des services de coaching scolaire. Elles sont présentes dans les salons d’orientation aux côtés des établissements privés et très actives sur les réseaux sociaux tout au long de la procédure Parcoursup. 80 % des élèves de familles aisées font appel à des conseils dans la maturation de leur projet d’études (réseau Tonavenir). Les tarifs (500 à 1000€) proposent d’aider l’élève à mieux se connaître et à utiliser Parcoursup.

Enfin, la plateforme d’orientation « Parcours privé » a été lancée le 5 décembre 2023 par la FNEP, (Fédération Nationale de l’Enseignement Privé) pour fournir des informations sur l’enseignement supérieur privé français, dans et hors Parcoursup. L’offre rassemble 2 767 formations sur 462 campus. Chaque formation détaille : intitulé, programme, conditions d’accès, frais de scolarité, stages en apprentissage ou en alternance, niveau de sortie, titre RNCP, etc. L’objectif affiché est de proposer une offre de formation plus « transparente » pour les familles sans pour autant « remplacer ni compléter » la plateforme nationale Parcoursup.

En réalité, « Parcours privé » est un calendrier parallèle, qui anticipe les grandes dates de Parcoursup pour mieux les contourner. Elle contribue à grossir le nombre des écoles privées dans tout le territoire, sans cadre de référence, ce qui inquiète le comité d’éthique et scientifique de Parcoursup (Cesp), dans son rapport annuel [3] adressé le 4 mars au ministère de l’enseignement supérieur. En réponse, le MESR travaillerait à un nouveau label pour les formations privées.

La segmentation entre le public et le privé est une nouvelle étape de l’offensive néolibérale dans l’enseignement supérieur. C’est un marché qui se constitue en aggravant les inégalités sociales entre étudiant·es, puisqu’y ont majoritairement recours celles et ceux issu·es de milieux favorisés, compte tenu des tarifs pratiqués. A l’élitisme des grandes écoles et des formations publiques d’excellence, s’oppose l’argent. En se basant sur un système violent, en pratiquant implicitement la guerre de classes, le privé n’hésite pas à défendre les intérêts des dominant·es, en profitant sans complexe de l’argent public pour amputer l’avenir de la jeunesse populaire.


[1Le rapport sur la procédure Parcoursup de la commission culture, éducation et communication du Sénat https://www.senat.fr/rap/r22-793/r22-793-syn.pdf ?

[2Le nombre de formations accessibles via la plateforme augmente d’année en année : 10 697 formations répertoriées en 2018, 13 644 formations en 2022, 23 000 formations en 2023. L’offre de formations privées accessibles depuis la plateforme Parcoursup a augmenté de 49% entre 2018 et 2022.