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Menu ☰Accueil > l’Echo du Sup > Echo du Sup N° 7 - Dossier "L’enseignement supérieur privé" > L’enseignement sup privé non lucratif / et privé lucratif : l’explosion
Frédérique Bey, Syndicat CGT FERC Sup de l’université de Lorraine
Et aujourd’hui encore, malgré des annonces contradictoires du ministère, le nombre d’étudiant·es continue à progresser : 2.965 M en 2023/2024, 2.997 à la rentrée 2024 et une projection à 3.018 M pour 2025/2026, soit 28 300 étudiant·es en plus en 2023, 32 500 en 2024 et sans doute encore environ 20 000 supplémentaires à la rentrée 2025. Et toujours sans moyens supplémentaires, et même, avec un budget en baisse en euros constants !
Cette croissance démographique non accompagnée des moyens financiers qui auraient permis d’accueillir ces nouveaux étudiant·es dans des établissements publics, associée à une politique de financement des établissements privés via des fonds publics, a déroulé un tapis rouge aux entreprises lucratives d’enseignement supérieur privé qui se sont empressées d’embrasser un marché juteux.
Fin 2023, les services statistiques du MESR (voir les notes flash du SIES) précisent la répartition des effectifs étudiants entre secteurs public et privé : pour l’année 2022-2023, le secteur privé accueille 766 900 étudiants, soit 26 % des effectifs de l’enseignement supérieur. Les inscriptions dans l’enseignement supérieur privé qui avaient déjà progressé de + 11% l’année précédente, connaissent à nouveau une hausse importante de +3,3%, pendant que le nombre d’étudiant·es dans l’enseignement public diminue de 3,1 % !
Évolution des effectifs d’inscrits dans l’enseignement supérieur, selon le secteur et la tutelle depuis 2010, base 100 en 2010 (Source SIES 2023-11-30915)
Le nombre d’étudiant·es a augmenté de 70% en 12 ans dans le privé, contre seulement 15% dans le public. Cet écart s’accélère depuis ParcourSup et MonMaster.
Le désengagement de l’état pour le secteur public de l’ESR est la première étape de la mise en vente de l’ESR. D’autres leviers ont rapidement été activés pour favoriser l’essor de multiples sociétés, aux statuts extrêmement variés : l’enseignement supérieur public s’est financiarisé, ce qui a conduit à l’augmentation des prix des formations, à leur baisse de qualité et à des conditions sociales dégradées des enseignants et formateurs (abus de CDD d’usage, imposition du micro- entreprenariat, de la facturation). Quelques traits de cette « politique » délétère :
■ le financement via des fonds publics, par exemple la politique de soutien à l’apprentissage (voir l’article dédié dans ce dossier PXXX), est un des leviers de croissance de ces écoles privées : leurs frais d’inscription, honteusement élevés, sont ainsi pour partie pris en charge par les cotisations des entreprises et les aides de l’État. Rappelons qu’obtenir un visa de l’État permet également l’attribution de bourses aux étudiant·es de ces établissements privés.
■ la concentration capitalistique via les fonds de pension et autres « Achats à effets de levier » auxquels participe Bpifrance.
■ le soutien des banques avec le financement à crédit des études.
■ l’ouverture de Parcoursup aux formations du privé permet ainsi aux bacheliers de voir validé au moins un de leurs vœux : c’est bien un arrêté de la ministre Vidal (Arrêté du 19 novembre 2021 pris pour l’application de l’article D. 612-1 du code de l’éducation), qui autorise l’intégration dans la plateforme de formations dispensées par des établissements privés qui ne sont ni sous contrat avec l’État ni d’intérêt général (qui étaient les seules privées autorisées en 2018, à l’ouverture de la plateforme). Il fallait bien trouver des places à ces dizaines de milliers d’étudiant·es supplémentaires !
■ le manque de contrôle par France compétences des formations réellement dispensées, de la publicité mensongère, de la réalité des emplois et des salaires obtenus relevant du « déclaratif ». Les parents et les élèves croient, à tort, acheter un métier et surtout un niveau de salaire.
■ pour les formations en principe adossées à la recherche et non directement professionnalisantes, l’attribution généreuse par le MESR de visas (autorisations à délivrer un diplôme conférant le grade de…) à des « entreprises écoles », souvent sans tenir compte de l’expertise de ses propres services sur le contenu des formations et malgré l’opposition des représentants du personnel au CNESER (voir l’article consacré au CNESER dans ce dossier P.XXX).
■ la publicité mensongère sur les titres RNCP et l’ignorance entretenue sur les pseudo-diplômes délivrés (« Bachelors », « Mastères » …), perçus à tort comme étant de l’Université.
Ainsi, alors que l’État renonce à donner les moyens aux établissements publics, l’impôt finance indirectement mais massivement ces écoles privées.