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lundi 24 février 2025

Historique - Le rôle de l’État et la bataille culturelle

Jean-Marc Nicolas, CGT FERC Sup syndicat Université de Lille

Depuis la création des premières universités, l’État est directement impliqué dans l’enseignement supérieur en France, permettant aux diplômes nationaux de constituer une solide garantie pour les étudiant·es comme pour les travailleur·ses face à l’arbitraire des employeurs. Et le « marché de la connaissance » échappe ainsi en grande partie aux appétits du capital. Depuis 1999, les gouvernements successifs n’ont eu de cesse d’ouvrir ce secteur à la concurrence. En finançant massivement l’enseignement supérieur privé à but lucratif, Macron donne un sérieux coup d’accélérateur à cette marchandisation.

Les universités comptent parmi les plus anciennes institutions en Europe. La doyenne, l’Université de Bologne, a plus de 1000 ans. En France, l’Université de Paris et la Sorbonne apparaissent sur la colline Sainte Geneviève vers 1200, au milieu des prés de la rive gauche de Paris. Sous la tutelle du monarque et de l’église, celles-ci accordent aux universités des « franchises », laissant ainsi aux étudiant·es comme aux enseignant·es une grande liberté. D’Abélard à François Villon, des figures incarnant l’esprit de fronde traversent cette période. À une époque sans école et sans lycée, l’université devant former les futurs clercs est réservée à une petite élite.

La Révolution Française marque le besoin, pour la jeune République (21 septembre 1792), de former des ingénieurs et des cadres afin d’assurer la consolidation de la nation ainsi que le développement industriel naissant. La Convention nationale décide dans un même mouvement de dissoudre les anciennes universités et de créer de nouvelles écoles centrales au service de l’État. Elle vote la création de nouvelles institutions publiques comme l’École Normale Supérieure ou l’École centrale des travaux publics, future École Polytechnique. Ces Grandes Écoles à la française confirment la tutelle de l’État sur l’enseignement supérieur.

Sous le 1er Empire, en 1808, les facultés réapparaissent, en même temps que les collèges et lycées, au sein d’un vaste ensemble, « l’Université impériale ».

Après les aléas de la restauration et du second empire, la IIIè République décide de « libéraliser » l’enseignement supérieur (loi du 12 juillet 1875), permettant ainsi la création des premiers instituts catholiques, appelés improprement « universités catholiques » ; le terme université, encore aujourd’hui, étant réservé aux établissements d’enseignement supérieur publics. Puis, en 1896, la République formalise le statut des facultés au sein des universités publiques tout en favorisant un enseignement adossé à la recherche. L’enseignement supérieur continue d’être réservé à une infime minorité de la population.

La question de la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur se pose dans les bouleversements de l’immédiate après-guerre, avec l’adoption du programme du Conseil National de la Résistance, et l’article 13 du préambule de la constitution de 1946 : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État » L’État s’engage ainsi sur l’enseignement supérieur, comme il l’avait fait pour l’école publique à la fin du XIXè siècle.

En conséquence, à partir de la fin des années 1960, l’État investit massivement dans un vaste programme de création de nouvelles universités, souvent à la périphérie des grandes villes ou en banlieue parisienne, en lien avec un plan de construction de nouveaux Campus « à l’américaine ». Les Grandes Écoles s’agrandissent également (déménagement de l’École Polytechnique à Palaiseau en 1976) ou ouvrent de nouveaux établissements (Écoles Centrales, Télécoms, etc.). L’enseignement supérieur privé reste marginal (écoles de commerce, instituts catholiques) et ne profite pas alors de ce développement.

La puissante vague néolibérale initiée dans les années 1970 se développe à la fin du XXè siècle. La convention de Lisbonne (1997) et le processus de Bologne (1999) entérinent l’ouverture à l’échelle européenne et mondiale du « marché de la connaissance ». Et qui dit « marché », dit « ouverture à la concurrence »…

Mais la loi est claire : « L’État a le monopole de la collation des grades et des titres universitaires. » (art. L613-1 du Code de l’Éducation). Les établissements privés, comme les instituts catholiques, doivent conventionner avec des universités publiques pour délivrer l’un des quatre grades universitaires (Licence, Master, Doctorat, en plus du Baccalauréat délivré par le ministère de l’Éducation Nationale) garants des diplômes nationaux. Par contre, l’État délègue par une accréditation à des établissements, publics ou privés, la possibilité de délivrer les titres (titre d’ingénieur par exemple). Le statut privilégié des écoles d’ingénieurs en France explique cette disposition à finalité professionnelle, mais profite aux écoles de commerces ou aux écoles d’ingénieurs privées.

Les diplômes figurent dans les grilles de classifications des conventions collectives et forment un système cohérent : l’État délivre des diplômes, ou accrédite des établissements pour le faire, sur lesquels sont construites les garanties salariales lors des négociations de branches.

Les garanties que constituent les diplômes sont donc, pour les gouvernements néo- libéraux qui se succèdent, une double entrave, à la « liberté » de l’employeur de fixer les salaires comme bon lui semble, mais aussi une entrave au développement du « marché de la connaissance » et à l’ouverture d’officines d’enseignement supérieur privés à but lucratif.

C ’est pourquoi ce système est attaqué et menacé. Ainsi en 2002 apparaît le répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), qui mêle allégrement grades, titres et « compétences »… Depuis, les attaques contre l’enseignement supérieur public n’ont pas cessé, l’État au service du
« marché » lui imposant à la fois une diète budgétaire croissante et des restructurations permanentes. Le service public de l’ESR se trouve ainsi dans l’incapacité de recruter et de rénover ses bâtiments pour répondre à la forte augmentation du nombre d’étudiant·es depuis 2010. L’édifice résiste, grâce notamment aux mobilisations, aux luttes collectives et au « sens de la mission » confinant au sacrifice de collègues très attachés au service public.

Cette résistance n’était pas au goût de Macron, élu en 2017 face à Marine Le Pen. C’est ainsi qu’il cherche, discrètement, à entraver le développement des universités par la loi du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », doublant cette loi de gigantesques financements publics arrosant littéralement les entreprises ayant recours à l’apprentissage, et indirectement les établissements d’enseignement supérieurs privés à but lucratif, ce qui conduit à leur développement rapide répondant à la seule liberté du commerce, sans contrôle ni vérifications. À coups de milliards d’€ (Mds€) d’argent public (le budget de l’état consacré à l’apprentissage est passé de 7,5 Mds€ en 2018 à plus de 25 Mds€ en 2023), Macron le fossoyeur a considérablement accéléré la transformation du service public de l’ESR en une jungle illisible, sauf pour les plus nantis…