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dimanche 7 mars 2021

Site web du syndicat CGT de l’université Aix-Marseille

Le bilan social et le rapport de situation comparée : un état des lieux utile des inégalités entre les femmes et les hommes sur AMU, et après ?

Aix-Marseille Université a publié en janvier 2021 son bilan social (BS) et son rapport relatif à la situation comparée des conditions générales d’emploi et de formation des femmes et des hommes (appelé plus simplement « rapport de situation comparée », RSC) pour l’année 2019. Nous présenterons dans un premier temps ce que sont ces documents (si utile pour le lecteur, sinon passer au point 2), puis les grands enseignements que nous pouvons tirer de leur analyse quant aux manifestations des inégalités entre les femmes et les hommes à AMU. Enfin, nous nous interrogerons sur les axes possibles de travail et d’action pour affiner le diagnostic sur ces inégalités et in fine chercher à les réduire, voire rêvons à les supprimer !

Pour expliciter d’où parle l’auteur de ce texte, il me semble important de préciser que je suis enseignante-chercheuse à AMU, spécialisée en GRH (gestion des ressources humaines) et travaillant sur l’ESR (l’enseignement supérieur et la recherche), mais que je ne participe à aucun conseil, comité ou groupe de travail à l’université en lien avec cet enjeu de l’égalité professionnelle. Donc je m’en tiens à l’analyse des documents publiés par AMU à partir de mes connaissances en GRH et de mon expérience de maîtresse de conférences dans cette université.

Table des matières

1. Le bilan social et le rapport de situation comparée : de quoi s’agit-il ?
2. Que disent les chiffres présentés dans le bilan social et le RSC quant aux inégalités entre les femmes et les hommes ?
2.1. Une répartition inégale des femmes selon les catégories de personnels qui pèse sur la structure des rémunérations
2.2. Des femmes plus souvent à temps partiel
2.3. Des femmes plus vulnérables sur le plan économique mais pas seulement
2.4. Un recours différent à la formation professionnelle, mais des formations aux impacts limités sur la carrière
2.5. Une « évaporation » des femmes progressivement dans les filières promotionnelles : le cas des EC
2.6. Focus sur les enseignants-chercheurs : des femmes qui se censurent ?
3. Et après ? Approfondir les analyses et agir !
3.1 Ce que l’on pourrait attendre des prochaines éditions des BS et RSC
3.2 Pour quelles actions, à quel niveau ?
Conclusion : et les réformes actuelles de l’ESR : quels impacts sur les inégalités femmes-hommes ?
Quelques lectures en complément

1. Le bilan social et le rapport de situation comparée : de quoi s’agit-il ?

Ces documents font état annuellement, sur la période de l’année civile, d’un certain nombre d’indicateurs chiffrés, et même d’un nombre certain d’indicateurs (comptons en moyenne 300 pages pour le bilan social et presque 150 pages pour le rapport de situation comparée sur le cas d’AMU), qui composent une photographie du « corps social » pourrait-on dire que constitue le personnel d’AMU incluant les fonctionnaires et les contractuels (permanents et en CDD).

Ce sont des documents produits unilatéralement par l’employeur (par la DRH – direction des ressources humaines - en l’occurrence, et ici à AMU par le bureau « métiers et prospectives » de la DRH), du fait d’obligations légales. Il s’agit d’objectiver les données qui doivent fonder et servir de base au dialogue social entre les partenaires sociaux. Ainsi à l’université, le BS et le RSC sont présentés aux instances représentatives du personnel, en premier lieu au comité technique (CT) en charge de rendre un avis consultatif sur ces questions d’égalité professionnelle, de parité et de lutte contre les discriminations.

Le bilan social a été introduit par la loi française en 1977 pour les employeurs du secteur privé (à partir de 300 salariés) et généralisé à l’ensemble de la fonction publique seulement en 2011. Si la liste des indicateurs à produire a minima est normée, la taille, la structure et la forme des BS des universités varient fortement. Dans le cas d’AMU, le BS, conséquent, comprend 3 grandes parties. La première concerne l’emploi et les effectifs (analyse par statuts – fonctionnaires et contractuels - et « types » de personnels – enseignants, enseignants-chercheurs et chercheurs et BIATSS) ; la deuxième porte sur les carrières et les parcours professionnels (recrutements et concours, formation, promotion, rémunération, départs des fonctionnaires, vacataires d’enseignement) et la dernière sur la vie des personnels (congés et délégations, personnels en situation de handicap, action sociale, dialogue social, médecine préventive, santé-sécurité et qualité de vie au travail).

Le bilan social contient déjà beaucoup d’éléments qui spécifient les situations relatives entre les hommes et les femmes, même s’il faut parfois retraiter les données pour pouvoir en tirer de véritables conclusions sur les inégalités femmes-hommes. Le législateur a pour autant obligé les employeurs à établir un document spécifique visant à établir un diagnostic plus systématisé des situations professionnelles respectives des hommes et des femmes : le rapport de situation comparée. Introduit en 1983 pour le secteur privé, il faut là aussi attendre 2013 et le protocole d’accord relatif à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes pour qu’il soit étendu à la fonction publique…

La liste des indicateurs à produire a minima est définie par décrets, et dans le cas d’AMU le RSC se structure en trois parties : un point rapide sur les effectifs généraux et deux parties très développées l’une sur les personnels enseignants et l’autre sur les personnels BIATSS.

Au-delà de la communication aux partenaires sociaux et après la consultation du CT, ces documents sont rendus publics par AMU, et les éditions 2017, 2018 et 2019 des BS et RSC sont consultables sur le site Internet de l’université : https://www.univ-amu.fr/fr/public/bilans-sociaux-rapports-de-situations-comparees.
La question n’est donc pas celle de l’accessibilité des données qui sont ainsi rendues publiques, mais plutôt celle de la capacité d’appropriation par le lecteur de ces documents qui sont tout à la fois longs et peu agrémentés de textes explicatifs. Leur lecture peut produire un effet de surcharge informationnelle, sans identifier clairement des éléments d’analyse et encore moins des pistes d’action, ce qui est d’ailleurs étonnant alors que le législateur a posé d’emblée trois objectifs au bilan social et au RSC : ’mesurer, comprendre, agir’.

Ainsi, le point suivant détaille les grands enseignements de l’analyse que nous avons menée sur le BS et le RSC relatifs à l’année 2019, signés d’Éric Berton mais établissant (du fait de leur production avec classiquement une année complète de décalage) une photographie des situations professionnelles respectives des agents d’AMU selon leur sexe sur la dernière année de la présidence Berland. Le point 3 quant à lui esquisse des pistes de travail et d’actions découlant de ces analyses.

TdM

2. Que disent les chiffres présentés dans le bilan social et le RSC quant aux inégalités entre les femmes et les hommes ?

Sans surprise malheureusement, les chiffres contenus dans ces documents illustrent des phénomènes bien connus quant aux diverses formes d’inégalités entre les femmes et les hommes. Ces inégalités sont repérables sur le cas d’AMU clairement et, sans que cela ne soit une raison pour se satisfaire de la situation locale, il est dit qu’elles correspondent aux moyennes nationales selon les données produites par le MESRI (pour ma part je n’ai trouvé en accès libre que le RSC du MESRI relatif à l’année 2014, étrange…).

TdM

2.1. Une répartition inégale des femmes selon les catégories de personnels qui pèse sur la structure des rémunérations

Sur les 7 870 personnels d’AMU en 2019, les femmes représentent 52,4% de l’effectif, cette part est stable au cours du temps et identique à la moyenne nationale. L’âge moyen est proche sur les 2 populations : 43,7 ans pour les femmes et 44,1 ans pour les hommes.

Sur les 7 870 personnes d’AMU, les « enseignants, enseignants-chercheurs et chercheurs » (EC désormais) sont 4 397, représentant 56% de l’effectif global, et se ventilant entre fonctionnaires (64,7%) et contractuels (45,3%) - sachant que sur les quasiment 2 000 contractuels presque la moitié sont des doctorants (829) et des ATER - attachés temporaires d’enseignement et de recherche (232). La population des EC est composée de 43% de femmes et de 57% d’hommes. Les femmes représentent 29% des enseignants-chercheurs hospitalo-universitaires, 39,7% des enseignants-chercheurs, 47,8% des enseignants non titulaires et 50% des enseignants du second degré. L’écart est ici plus fort sur les moyennes d’âge par rapport à l’effectif global : 44,2 ans pour les hommes et 41,2 ans pour les femmes.

Les BIATSS sont 3 473 et représentent 44% de l’effectif global. Ils se ventilent entre fonctionnaires (2 259 soit 65%) et contractuels (1 214 personnes soit 35%, dont 242 en CDI et 175 post-doctorants financés sur contrats de recherche – ces derniers augmentent avec la montée en puissance des financements sur projets dans l’ESR). Les femmes représentent 66% de l’effectif des BIATSS hors contrats de recherche, et seulement 47% des BIATSS sur contrats de recherche. Les BIATSS se répartissent ainsi selon les catégories : 36% en A, 23% en B, 41% en C.

Sur l’ensemble d’AMU (EC et BIATSS), le personnel est ainsi ventilé selon les 3 catégories : 72% en A (du fait du poids des EC tous de catégorie A), 10% en B, 18% en C ; avec une tendance forte à la baisse des catégories C et une augmentation des catégories B et A.

La répartition par catégorie entre les hommes et les femmes est ici très inégalitaire.

Ainsi 62% des femmes sont en catégorie A, 13% en catégorie B et 25% en catégorie C. Les femmes sont donc clairement sous-représentées dans la catégorie A et sur-représentées dans la catégorie B et surtout dans la catégorie C.

Les hommes sont pour leur part répartis ainsi : 82% d’entre eux sont en catégorie A, 7% en catégorie B et 11% en catégorie C. Les hommes sont ainsi quant à eux, par rapport à leur part dans l’effectif global (48%), sur-représentés dans la catégorie A (82% d’entre eux sont en catégorie A, alors que cette catégorie représente 72% sur l’ensemble de la population AMU et regroupe seulement 62% de la population féminine), et sous-représentés dans les catégories B et C.

Cette segmentation verticale des femmes dans les catégories d’emplois les moins rémunératrices (plus nombreuses chez les BIATSS, plus nombreuses dans les catégories C, plus nombreuses dans les sous-catégories d’EC les moins payées et les plus précaires), et les moins dotées en pouvoir aussi, génère évidemment des effets forts, en premier lieu sur leur niveau de rémunération plus faible que celui des hommes.

Au niveau des statuts (fonctionnaires ou contractuels), les contractuels représentant désormais 35% de l’effectif global, 37% des femmes sont contractuelles contre 33% des hommes. Ceci étant, le niveau de rémunération des contractuels est très variable selon que l’on considère un contractuel BIATSS de catégorie C, un contractuel de catégorie A recruté au niveau des directions fonctionnelles, un doctorant, un professeur associé ou encore un chef de clinique...

Cette répartition inégalitaire selon les catégories de personnels et les statuts pèse sur la structure des rémunérations bien sûr, à laquelle s’ajoutent en plus l’effet du temps partiel (cf. point 2.2) et celui du caractère inégal des progressions de carrières au détriment des femmes (cf. point 2.5).

Ainsi la rémunération moyenne d’un EC est de 3 346 euros net mensuel et celle d’un personnel BIATSS de 1 955 euros net mensuels (incluant a priori les primes et indemnités diverses).

Au sein des EC, les femmes perçoivent en moyenne 3 115 euros net par mois et les hommes 3 482, soit un écart de 11,8%. Celui-ci tient à la plus forte concentration des femmes à la fois dans les catégories d’EC les moins rémunératrices (les enseignants du second degré notamment dont la rémunération moyenne est de 3 068 euros), mais aussi à leur moins bonne position au sein de chacune des catégories (par exemple les enseignantes du second degré perçoivent en moyenne des rémunérations inférieures de 5,5% à celles de leurs collègues hommes).

Au sein des BIATSS, la rémunération mensuelle nette moyenne par catégorie est la suivante : 2 633 euros en A, 1 862 euros en B et 1 525 euros en C (ce qui est en gros le niveau du SMIC brut par contre). Compte-tenu de la sur-représentation des femmes en catégories B et C, la rémunération moyenne mensuelle des femmes BIATSS est de 1 862 euros contre 2 137 euros pour les hommes, soit tout de même un écart de 15%.

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2.2. Des femmes plus souvent à temps partiel

8% des agents d’AMU sont à temps partiel (c’est le même pourcentage pour les fonctionnaires et les contractuels), mais ceci est très inégalement réparti puisque sur l’ensemble du personnel 14% des femmes sont à temps partiel et seulement 5% des hommes (sachant que la part des temps partiels thérapeutiques – pour raisons de santé donc – est très faible, ne concernant que 57 agents dont 70% de femmes). Évidemment le temps partiel pèse sur les rémunérations (effet direct au sens de mécanique et d’instantané), mais il pèse aussi sur les carrières (effet différé et plus insidieux, qu’il serait bon d’investiguer et d’objectiver plus avant) car il constitue souvent un stigmate associé aux stéréotypes relatifs à la moindre disponibilité temporelle des femmes, dont découlent (abusivement s’entend) des représentations quant à une prétendue moindre fiabilité et un moindre engagement dans son travail et pour l’organisation, et quant à une prétendue moindre ambition/motivation vis-à-vis de la carrière.

À l’inverse du secteur privé et des contractuels, le temps partiel chez les fonctionnaires est le résultat d’une demande des agents, donc on ne peut le qualifier de temps partiel subi au sens où il aurait été imposé par l’employeur contre la volonté de l’agent. Pour autant, nul besoin d’enquête approfondie pour savoir que le temps partiel demandé plus par les femmes est lié très généralement à la prise en charge déséquilibrée dans les couples et les familles tout à la fois des enfants et des proches vulnérables (notamment les parents âgés, ce qui ne va pas s’arranger avec le vieillissement de la population).

Le bilan social indique par exemple à quel point la parentalité semble peu concerner les hommes, quand seulement 29 agents hommes ont pris un congé paternité en 2019 pour seulement 308 jours de travail, quand on dénombre 129 femmes en congé maternité en 2019 (alors bien sûr toutes ces femmes ne sont pas en couple avec un agent AMU ! mais sachant que les moyennes d’âge sont proches entre les 2 populations hommes-femmes, cela dit quelque chose de la prévalence des naissances et du faible nombre de congés paternités pris par les agents hommes à AMU).

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2.3. Des femmes plus vulnérables sur le plan économique mais pas seulement

Plusieurs phénomènes s’empilent ici : une concentration des femmes dans les catégories de personnels les moins bien payées, des situations plus fréquentes de temps partiel (y compris thérapeutique) et une légère sur-représentation parmi les contractuels. Ces configurations professionnelles n’entraînent pas mécaniquement une vulnérabilité économique, dès lors que la situation financière globale de ces femmes va varier en fonction de données que nous n’avons pas quant à leur situation personnelle, selon qu’elles sont en couple ou pas, selon les revenus du conjoint le cas échéant, selon leur patrimoine personnel et leur capacité de bénéficier ou pas d’aides familiales (financières ou en nature comme la garde d’enfants), mais elles en constituent clairement des facteurs de risque.

En l’occurrence nous constatons bien dans les chiffres relatifs au recours aux prestations sociales du SCASC que ce sont essentiellement des agents femmes qui les demandent et les perçoivent. Sur 468 prestations versées (un agent pouvant percevoir plusieurs prestations), 349 ont été versées à des femmes et 119 à des hommes, quand les femmes représentent pour rappel 52% du personnel global de l’université. Même si on prend en compte le fait que sur les couples composés de 2 agents AMU, ce sont probablement plus souvent les femmes qui s’occupent de demander les aides, cela ne contrebalance pas la sur-représentation des femmes dans les bénéficiaires des aides sociales.

Sur les aides d’urgence, nous observons le même phénomène : les aides sont le plus souvent demandées par des femmes (majoritairement de catégorie C et majoritairement titulaires), avec un calcul approximatif compte-tenu des documents fournis estimant que sur les 47 000 euros d’aides d’urgence versés par AMU, 35 000 euros l’ont été à des femmes et 12 000 à des hommes.

D’autres formes de vulnérabilité sont observables à travers le BS. Au niveau des entretiens réalisés par la psychologue du travail du SUMPP (service universitaire de médecine de prévention des personnels), l’essentiel l’est avec des femmes (78% des entretiens initiaux). Les visites réalisées par le SUMPP, dans le cadre d’une surveillance médicale particulière individualisée, pour des motifs de souffrance et de risques de souffrance au travail - affectant ou risquant d’affecter la santé mentale des personnels - concernent à 67% des femmes.

Enfin, les accidents du travail affectent très fortement les catégories C (notamment les BAP G et J) qui regroupent 55% de l’ensemble des accidents du travail. Or les femmes étant sur-représentées dans la catégorie C, 70% des accidents du travail concernent ainsi les femmes.

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2.4. Un recours différent à la formation professionnelle, mais des formations aux impacts limités sur la carrière

Plus de femmes suivent des formations à AMU (elles représentent 74% des stagiaires alors qu’elles pèsent 52% de l’effectif d’AMU), mais elles suivent des formations plus courtes (si elles sont 74% des stagiaires, la durée de leurs formations ne représente que 69% du nombre d’heures global de formation) qui sont forcément moins ambitieuses quant aux apports de connaissances et au développement des compétences visés. Les femmes ne suivent en moyenne qu’à peine plus d’1 jour de formation par an.

D’ailleurs, si le budget de formation d’AMU est de 575 000 euros, plus de 80% des formations sont ce que l’on appelle des formations de type 1, c’est-à-dire des formations (courtes souvent) qui servent à monter en compétences dans son poste actuel, pour en acquérir une meilleure maîtrise professionnelle, mais qui ne sont pas qualifiantes et ne sont clairement par orientées dans le sens d’un accompagnement ou d’une mise en capacité de la personne à évoluer dans son parcours professionnel.

Il existe des formations à la préparation aux concours et à l’accompagnement des parcours professionnels, mais elles pèsent peu dans l’ensemble des formations suivies (11% des heures de formation pour les premières et 4% pour les secondes).

Sur les EC spécifiquement, les formations sont surtout suivies par les doctorants (qui représentent 69% des stagiaires EC) qui ont des heures de formation à réaliser obligatoirement pour pouvoir soutenir leur thèse. Les formations suivies par les EC, après le doctorat, sont essentiellement celles proposées par le CIPE et tournées vers la pédagogie, ce qui en soit est bien sûr très important pour soi et pour les étudiants, mais qui n’a pas d’incidence sur la manière de se positionner par rapport à des évolutions de carrière futures qui ne tiennent pas du tout compte de la qualité des enseignements dispensés par l’EC.

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2.5. Une « évaporation » des femmes progressivement dans les filières promotionnelles : le cas des EC

Si on retrouve des femmes à tous les niveaux de l’organisation (ainsi sur 115 emplois supérieurs et dirigeants apparaissant dans l’organigramme, 49 sont occupés par des femmes soit 43%) et dans tous les corps et les grades, ce qui ne permet pas de parler véritablement d’un plafond de verre étanche, il existe pour autant des phénomènes fortement inégalitaires en la matière.

Prenons les enseignants-chercheurs (vraiment les EC, pas toute la catégorie des enseignants, enseignants-chercheurs et chercheurs), clairement plus on monte et moins les femmes sont nombreuses. Ainsi elles représentent en gros 40% de l’effectif EC, mais elles sont très inégalement réparties selon les corps. Ainsi environ les 2/3 des maîtres de conférences (MCF - le corps d’entrée dans la carrière) sont des maîtresses de conférences, alors que moins d’1/3 des professeurs des universités (PU - le corps du-dessus) sont des femmes. Il en est de même sur les EC hospitalo-universitaires : 48% des MCF sont des femmes mais elles ne représentent plus que 19% des PU… Si on raffine l’analyse sur les EC en considérant les grades au sein des corps, on constate l’attrition progressive de la part des femmes à chaque étape. Elles deviennent de moins en moins nombreuses au sein du corps des MCF quand on monte de la classe normale à la hors classe, et de la hors classe au récent échelon exceptionnel de la hors classe. Idem, elles deviennent de moins en moins nombreuses quand, au sein du corps des PU, on passe de la 2ème classe à la 1ère classe, puis de la 1ère classe à la classe exceptionnelle 1, puis de la classe exceptionnelle 1 à la classe excetionnelle 2.

C’est ce qu’on appelle le phénomène du « tuyau percé » : on constate une évaporation des femmes à chaque étape des carrières. Et ceci est d’autant plus choquant dans la fonction publique dans laquelle des règles cadrent les progressions de carrière dans une logique devant assurer l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes. Le droit de la fonction publique est justement pensé dans l’optique de protéger les agents du pouvoir discrétionnaire du management, bien plus fort dans le secteur privé. L’idée est justement d’essayer d’éviter ces phénomènes dans lesquels les choix faits en matière de recrutement, de primes, d’attribution de responsabilités, de promotion, etc., encapsulent toutes les représentations sociales autour, d’une part, des soi-disant qualités différenciées des hommes et des femmes, qui rendraient les premiers plus aptes aux fonctions à responsabilités appelant courage et force..., et d’autre part de la réputée moindre disponibilité des femmes du fait de leur rôle pivot dans la cellule familiale notamment dans la prise en charge des enfants.

Et pourtant dans la fonction publique, des mécanismes insidieux viennent déséquilibrer les carrières des femmes et des hommes. En 2012, le législateur, actant d’un probable biais cognitif dénommé biais de projection (qui désigne le fait qu’en partie inconsciemment un individu en position d’évaluateur va favoriser des profils qui lui ressemblent – sexe, âge, couleur de peau, origine sociale, parcours de formation initiale, etc.), est intervenu pour fixer de nouvelles règles quant à la composition des comités de sélection et des jurys à l’université. Désormais pour tous les concours, ces derniers doivent être composés d’au-moins 40% de membres de chaque sexe.

Sur AMU, pour les EC : les comités de sélection sont quasiment à la parité sur leurs membres, mais les présidents de ces comités, qui ont un pouvoir fort sur les décisions, sont encore aux 2/3 des hommes. Pour les BIATSS, la composition des jurys respecte la règle des 40% de femmes minimum et la présidence alterne d’une année sur l’autre entre un homme et une femme. Il faudra suivre au cours du temps ce que produit cette règle légale, au niveau des flux (nouvelles entrées) et des stocks. Alors que les flux de recrutement baissent, notamment sur les emplois de fonctionnaires, les effets attendus de rééquilibrage sur les stocks (effectifs globaux) de la part des femmes dans les différents corps peuvent prendre de nombreuses années à ce rythme… Et encore si tant est que les femmes qui siègent dans les comités n’aient pas elles-mêmes intériorisé les schémas de domination et les représentations sociales explicitées ci-dessus…

Toujours est-il qu’actuellement, les inégalités quant à la répartition des femmes selon les catégories de personnel, mais aussi leur moindre ascension vers les grades plus élevés au sein de chacune des catégories, créent un déséquilibre des rémunérations femmes-hommes.

Ainsi, sur la seule population des EC, les différences de rémunération s’observent entre MCF et PU mais aussi au sein de chaque corps : les femmes perçoivent systématiquement une rémunération moindre du fait de leur « stagnation » dans le bas des échelons et classes de chaque corps. Or l’échelle des rémunérations des EC varie d’un facteur 3 d’un bout à l’autre : de 2 169 euros brut mensuels à l’entrée à 6 204 euros pour le niveau le plus élevé. Ainsi, les MCF perçoivent en moyenne 3 008 euros, et l’écart entre femmes et hommes est ici de -1,47%. Sur les PU, la rémunération moyenne est de 4 323 euros et l’écart est ici de -3,78% au détriment des femmes.

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2.6. Focus sur les enseignants-chercheurs : des femmes qui se censurent ?

Le terme d’auto-censure est l’objet de controverses importantes lorsque l’on considère les phénomènes inégalitaires femmes-hommes, car il pourrait laisser à penser que du coup les femmes n’ont pas à se plaindre d’un traitement différent si ce sont elles-mêmes qui se censurent… En gros, ce serait leur faute, et en forçant à peine le trait on peut entendre ce type d’’argument’ : « si elles ne se bougent pas, ce ne sont pas non plus des enfants, on ne va pas les prendre par la main et s’occuper de leur carrière à leur place. »

Ce que l’on observe clairement c’est une sous-représentation des femmes dans les candidats se présentant à toutes les étapes de la carrière des EC, qu’il s’agisse de passer des concours avec épreuves ou des concours sur la base de la présentation de dossiers.

Dans la 1ère configuration, 3 disciplines (droit, gestion, sciences politiques) organisent une partie du recrutement des PU par le biais du concours de l’agrégation du supérieur, qui impose généralement une mobilité géographique et dont les membres des jurys sont trop souvent imprégnés encore de normes implicites relatives à l’âge. Les représentations dominantes sont que l’on devient PU jeune, en gros à la petite quarantaine et idéalement avant, alors que la décennie 30-40 n’est pas celle de la plus grande productivité des femmes en matière de recherche clairement, ce qui produit des effets dits de discrimination indirecte femmes-hommes. Ces mécanismes expliquent en partie la sous-représentation des femmes dans les PU de ces disciplines d’autant plus marquante que la population des MCF y est très largement féminine.

Dans la seconde configuration, les données du BS sont édifiantes. Pour le passage MCF classe normale à MCF hors classe, seulement 16% des femmes promouvables (critère d’ancienneté dans la classe normale) ont déposé un dossier en 2019 (voie nationale et voie locale comprises), alors que 33% des hommes promouvables l’ont fait ; pour un taux de succès (promus/candidats) supérieur pour les femmes... Le même phénomène s’observe mais avec un écart moins grand pour le passage à l’échelon exceptionnel de la hors classe MCF avec 26% des femmes promouvables ayant candidaté et 32% des hommes. On observe la même chose à chaque étape au sein du corps des PU : de PU 2ème classe à PU 1ère classe, 40% des femmes promouvables postulent contre 44% des hommes ; de PU 1ère classe à PU classe exceptionnelle 1, ce sont 22% des femmes promouvables qui postulent contre 24% des hommes ; enfin de PU classe exceptionnelle 1 à PU classe exceptionnelle 2, les femmes promouvables ne sont que 15% à postuler contre 35% chez les hommes.

Ces sous-représentations des femmes dans les stades les plus élevés des carrières académiques ne procèdent évidemment pas que d’une ’volonté’ ou d’une ’non-volonté’ individuelle, et il s’agit bien sûr de déconstruire ce qui peut être gênant dans le terme d’auto-censure. Ces phénomènes de tuyaux percés procèdent de facteurs divers, sociétaux, culturels, organisationnels, imbriqués et tenaces dans le temps… Sans qu’il ne s’agisse du tout de naturaliser des traits de personnalité genrés, il faut observer que les contextes successifs de socialisation - famille, école, études, univers professionnel - ont plus conforté les hommes dans leur croyance en leur valeur et en leur légitimité à progresser. Les femmes demandent moins, postulent moins, et elles le font plus tard, attendant plus longtemps par exemple de s’être constitué un dossier qu’elles jugent selon leurs critères (plus exigeants parfois) digne d’être présenté à promotion, alors que légalement elles auraient pu postuler plus tôt. Parfois elles le font trop tard, ou jamais… Pourtant quand les femmes se présentent à des concours ou présentent des dossiers, elles réussissent aussi bien voire mieux que les hommes, mais leur faible nombre dans les candidats aboutit à cette attrition progressive de la part des femmes quand on monte dans les étapes de la carrière et dans les hiérarchies universitaires.

On observe le même type de phénomène quand on considère les demandes de primes d’encadrement doctoral et de recherche (PEDR) qui se traduisent en montant financier, dont tout ou partie peut être transformé en décharge d’enseignement. 27% seulement des demandes proviennent des femmes EC… et donc fatalement 28% seulement des bénéficiaires de ces primes sont des femmes…

Un élément positif tient à la part des dossiers de demande de CRCT - congés pour recherche ou conversion thématique - qui sont des moments importants de respiration pour les EC, déchargés de l’enseignement et des responsabilités pédagogiques, pour faire de la recherche, publier et passer son HDR (habilitation à diriger des recherches) qui est clé pour le passage PU. En 2019, 37% des demandes viennent de femmes donc en rapport avec leur part dans la population des EC, et presque 50% des candidates ont obtenu leur CRCT, là où le taux de succès des candidats masculins est d’1/3. On ne parle ici que de 19 personnes ayant eu un CRCT en 2019, 10 hommes et 9 femmes, mais c’est un élément clairement à encourager pour le soutien aux carrières féminines.

TdM

3. Et après ? Approfondir les analyses et agir !

Il est donc possible de tirer un certain nombre d’enseignements importants de l’analyse des BS et des RSC. Pour autant d’une part leur lecture pourrait en être facilitée et l’analyse poussée plus loin sur certains points ; et d’autre part il s’agit, après la mesure et la compréhension des inégalités hommes-femmes, d’agir pour les réduire et les combattre.

TdM

3.1 Ce que l’on pourrait attendre des prochaines éditions des BS et RSC

Dans le BS, certains indicateurs pourraient clairement être travaillés différemment pour faire apparaître immédiatement les manifestations et les raisons des inégalités femmes-hommes : il en est ainsi des indicateurs sur la formation, de calculs relatifs à la rémunération et aux écarts en la matière, etc… D’autres pourraient être ajoutés comme une plus forte ventilation des données selon les disciplines pour les EC. De même, si le code du travail précise que le BS détaille les conditions d’articulation entre les activités professionnelles et l’exercice de la responsabilité familiale, ceci est très peu documenté. Par ailleurs, je ne suis pas certaine qu’employer des icônes de petits personnages en jupe pour identifier les parties de diagrammes relatives aux chiffres de la population féminine soit ici le plus judicieux !

Moins anecdotique : un phénomène classique en matière d’inégalités femmes-hommes concerne ce que l’on appelle les « parois de verre » qui désigne le cantonnement des femmes dans des métiers et des rôles moins stratégiques, moins proches du pouvoir. Les documents actuels ne permettent pas véritablement d’investiguer cela. Il faudrait par exemple pousser plus loin l’analyse (par des enquêtes ad hoc) des responsabilités prises par les hommes et les femmes, au-delà par exemple de la seule quantification du montant global des primes liées à ces responsabilités. Ici il y aurait un vrai travail à faire, notamment sur les EC, pour estimer les charges de travail réelles attachées aux diverses responsabilités, pour appréhender leur juste (ou pas) rémunération, mais aussi appréhender les ressources auxquelles elles permettent d’accéder pour ceux ou celles qui les occupent. On peut ainsi émettre la conjecture suivante : les femmes endosseraient plus que les hommes des rôles collectifs à dominante administrative, consommateurs en temps, faiblement rémunérateurs financièrement en retour et faiblement pourvoyeurs de ressources valorisables et activables ensuite pour leur carrière. En gros, elles passeraient beaucoup de temps dans des activités peu « rentables » à court terme, leur prenant du temps de recherche, mais sans leur donner en contre-partie accès à des ressources intéressantes (ressources relationnelles de type réseaux d’aide ou d’influence ou ressources financières mobilisables sur la recherche comme des financements de projets, de doctorants ou de post-doctorants), jouant ainsi négativement sur leur capacité à se constituer des dossiers ou à préparer des concours leur permettant de candidater sur des promotions. Ne pourrait-on intégrer dans une réflexion sur le niveau des primes la différence entre des responsabilités « du fond de la mine » (du type gestion d’une licence) qui ont un coût immédiat mais aussi différé de celles qui sont source de valeur ajoutée à terme dan
s la carrière ? Il est fort à parier que la répartition des responsabilités en matière de pouvoir associé n’est pas égalitaire ici.

Un point d’étonnement à la lecture du BS et du RSC consiste dans la faible part de textes et dans la quasi-absence d’analyses plus clairement exprimées. Ce n’est pas en n’explicitant pas les inégalités femmes-hommes, ou en laissant faire le boulot d’analyse aux représentants du personnel, que ces inégalités sont moins présentes ou qu’elles ont des chances de disparaître toutes seules… La DRH pourrait pousser plus loin le fait de faire parler les chiffres dans le but de faciliter l’appropriation de cet outil de gestion par l’ensemble des personnels d’AMU.

Il serait très important de disposer à chaque nouvelle édition du BS et du RSC des données sur plusieurs années. Visiblement le RSC n’a commencé à être produit qu’en 2016 à AMU, ce qui est étonnant, mais soit, il serait déjà important de pouvoir remonter facilement des séries temporelles de données sur le plus grand nombre d’années possible. Actuellement, chaque édition ne met en perspective les données de l’année considérée qu’avec les données de l’année précédente, à l’instar des bilans comptables, mais en matière sociale ça n’a pas de sens de ne comparer qu’à l’année précédente…

Les phénomènes étudiés, quand on considère la représentation des femmes par catégories d’emplois ou stades dans la carrière, se caractérisent tout à la fois par l’inertie des stocks, malgré les flux, et par leur temporalité longue. Je m’explique ! Tout d’abord, compte-tenu des effectifs très importants des personnels à AMU, une inflexion quant à la part des femmes lors du recrutement sur une année (en 2019, sur les 35 MCF recrutés, 21 étaient des femmes), les flux concernés sont si faibles par rapport à la masse du stock (c’est-à-dire l’effectif global ici des MCF), que l’effet en termes de % quant au poids respectif des hommes et des femmes est infime. Il en est de même des promotions à la voie locale qui, en 2019, bien que promouvant toujours plus d’hommes que de femmes, sont pour autant moins déséquilibrées que les promotions à la voie nationale.

Ainsi, des mesures cherchant à favoriser les carrières des femmes pourront parfois mettre des années à produire leurs fruits. Par exemple, mieux informer, former et accompagner les femmes, dès leur recrutement, sur les perspectives de carrière et sur ce qu’il faut qu’elles fassent pour y arriver, est en soi très important pour renforcer leur pouvoir d’agir (les féministes, comme les chercheurs en GRH, parlent beaucoup d’empowerment), mais il faudra peut-être 5, 10 ou 15 ans pour modifier de manière notable l’inflexion moyenne des carrières féminines. La capacité ici à tester, et éventuellement à démontrer, de l’efficacité de certaines mesures est rendue complexe par la temporalité longue par essence des carrières.

Au-delà de la mise à disposition des données sur la plus longue période possible (pour disposer du film et pas seulement d’une photographie à un instant donné), cela appelle à une vision non utilitariste des mesures à engager en faveur d’un rééquilibrage des situations des femmes, en ce sens que des mesures sont essentielles mais que la plupart ne porteront leurs fruits qu’à long terme, appelant la gouvernance à se dégager de considérations électoralistes de court-moyen terme.

À ce sujet, il est très étonnant de ne pas trouver de plans d’actions à la fin du RSC. Pour le secteur privé, le code du travail précise clairement que le RSC doit recenser « les mesures prises au cours de l’année écoulée en vue d’assurer l’égalité professionnelle, les objectifs prévus pour l’année à venir et la définition qualitative et quantitative des actions à mener à ce titre ainsi que l’évaluation de leur coût ».

Dans les documents produits par AMU : rien… pas un mot sur les mesures prises, mais pas non plus de perspectives quant à des actions à venir (les rapports se terminent sèchement sur des indicateurs, sans même un mot de conclusion). La gouvernance actuelle affiche l’égalité entre les hommes et les femmes comme un axe fort de préoccupation, avec une VP dédiée à l’égalité femmes-hommes et à la lutte contre les discriminations (Isabelle Régner, enseignante-chercheuse qui mène d’ailleurs des travaux sur l’influence des stéréotypes notamment de genre). Ne pourrait-on ainsi attendre d’avoir dans ce document public qu’est le RSC l’expression de pistes de travail et d’actions concrètes à venir ? Il aurait été possible de le faire pour celui qui vient de paraître, puisque rédigé par la nouvelle équipe, espérons que ce soit le cas dans le prochain RSC qui sera le premier portant sur le début de la nouvelle mandature, soit l’année 2020.

TdM

3.2 Pour quelles actions, à quel niveau ?

Les inégalités femmes-hommes prennent leur source dans l’imbrication de phénomènes qui se jouent à des niveaux multiples et dont certains sont ancrés dans des représentations sociales partagées et transmises par la société, avec une inertie forte de celles-ci au cours du temps. Dans le cas des fonctionnaires et plus largement des agents publics, les cadrages règlementaires façonnent les conditions d’accès aux métiers et en partie les modalités de progression de carrières. Pour autant, cela ne signifie pas qu’il n’y a pas d’actions concrètes à mettre en œuvre au niveau d’un établissement, au niveau central de celui-ci mais également au niveau de chaque composante, et en leur sein des départements d’enseignement, des équipes, ainsi qu’au niveau des unités de recherche, laboratoires, fédérations, labex, instituts, etc.

N’étant pour ma part pas impliquée dans les travaux avec la gouvernance sur ce sujet, ce sont plutôt des exemples à un niveau en partie plus déconcentré que je développerai.

Prenons les campagnes d’emploi. C’est au niveau des composantes, en dialogue avec les unités de recherche, que sont établies et priorisées les demandes de création de postes d’ATER, de MCF et de PU. Les logiques qui président aux demandes de postes pourraient tenir compte de la situation comparée des hommes et des femmes. Dans le cas de secteurs disciplinaires avec un fort effet de plafond de verre, des politiques volontaristes de rééquilibrage pourraient être envisagées, avec cet objectif explicitement affiché. Créer plus de postes de PU par exemple dans des secteurs où le taux d’accès des femmes à ce corps est très faible, notamment du fait d’un effet de goulot qui, dans un contexte de forte concurrence pour un faible nombre de postes, ne laisse passer ou ne fait monter quasiment que des hommes, créant à force des effets de découragement par anticipation des femmes MCF.

Une autre piste de travail, pouvant être impulsée par la gouvernance, serait un chantier d’objectivation des taux d’encadrement sur le volet enseignement par composantes et surtout au sein de celles-ci par disciplines. Le ratio enseignants/étudiants (à pondérer lorsque l’on considère des publics en alternance ou en formation continue par exemple) devrait être un critère de premier plan, à part égale ou même supplantant les critères relatifs à la recherche. Le poids de ces derniers est en effet très fort et certaines disciplines ou sous-disciplines obtiennent des créations de postes sous l’argument de leur excellence (…) académique, appréhendée sur une échelle mono-critère (dans la droite ligne des rankings internationaux des universités, tel le classement de Shanghai) quant aux articles publiés dans des revues internationales considérées comme les meilleures et ayant le plus fort facteur d’impact. Si on peut entendre ces critères recherche, la capacité des équipes d’EC à être suffisamment nombreuses, en rapport avec les populations étudiantes dans leur champ, pour couvrir les enseignements sans faire appel à des armées de vacataires plus ou moins bien coordonnés et pour encadrer correctement les étudiants notamment dans les travaux de type mémoires, projets, stages, etc. ne me semble pas devoir être un critère annexe dans une université qui doit équilibrer ses différentes missions de service public. Ce taux d’encadrement est classiquement assez bas dans des disciplines et des sous-disciplines plus fortement féminisées, conduisant ces femmes EC à épuiser une très grande partie de leur temps de travail pour la formation, au détriment de leur capacité à faire de la recherche sur laquelle se jouent encore très fortement les carrières aujourd’hui.

Un dernier exemple repose sur des initiatives locales, et je témoignerai de ce que je connais directement. Au LEST (laboratoire d’économie et de sociologie du travail, qui est mon laboratoire), de manière formelle et informelle, de nombreux permanents consacrent énormément de temps à l’accompagnement et à la préparation des doctorants puis des post-doctorants, dont une grande part de femmes, dans leur travail de thèse mais aussi dans toutes les étapes cruciales en vue de leur insertion professionnelle. À côté d’informations diffusées et d’ateliers collectifs, ce sont des pratiques véritablement de soutien individualisé notamment dans les processus de candidatures et les entraînements aux auditions qui sont portées par les EC et les chercheurs du laboratoire. Initiative à ce stade plus modeste, mais néanmoins intéressante et nouvelle, la FEG (faculté d’économie et gestion, qui est ma composante d’enseignement) a débuté un cycle amené à se répéter régulièrement de formations sur toutes les étapes de la carrière des EC mobilisant des formateurs membres des instances nationales (CNU – conseil national des universités) et locales (CAcR, conseil académique restreint, AMU) qui interviennent dans les carrières académiques. Il n’y aura pas d’effet immédiat et miraculeux, mais c’est à suivre et à poursuivre, et probablement à renforcer pour aller au-delà de l’information seulement.

Plus globalement, la question est celle de savoir quand l’université française se mettra réellement en mouvement pour développer une véritable gestion des ressources humaines qui se préoccupe du développement des compétences et des parcours professionnels des agents, sans totalement leur déléguer le souci de s’auto-activer (ou pas) pour évoluer. Actuellement les DRH universitaires sont encore beaucoup concernées par les dimensions purement administratives de la gestion des agents. Vaste question… et il ne suffit pas de débaptiser la direction de l’administration du personnel pour la désigner désormais d’un nom sonnant de manière plus moderne, que ce soit direction des ressources humaines ou direction des richesses humaines, pour en faire significativement évoluer les pratiques. À suivre !

TdM

Conclusion : et les réformes actuelles de l’ESR : quels impacts sur les inégalités femmes-hommes ?

Le CESE, conseil économique social et environnemental, a produit en septembre 2020 une longue analyse s’inquiétant des évolutions contenues dans la LPR.
Cf. https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2020/2020_19_LPPR2.pdf
Une rubrique concerne la place préoccupante des femmes dans l’ESR, toujours sous-représentées aux niveaux les plus élevés de la carrière et des postes à responsabilités. Le CESE ne détaille pas ce qui dans les évolutions portées par la désormais LPPR peut influer négativement sur l’égalité femmes-hommes, appelant seulement à la plus grande vigilance sur ce point entre caractérisation systémique des inégalités au travers des RSC et plans d’action volontaristes à mettre en place.

Il nous semble possible d’esquisser quelques pistes quant aux impacts possibles et négatifs de la LPPR qu’il faudra suivre attentivement.

Les études et les carrières scientifiques ont clairement perdu en attractivité, ce qui est souligné et inquiète depuis plus de 20 ans. L’incertitude quant à la capacité à obtenir un poste à l’issue d’un doctorat et le parcours de plus en plus long de précarité avant l’accès à une position permanente sont clairement de nature à décourager encore plus les femmes qui, à chaque étape, se lancent moins que les hommes. Ainsi une part plus faible des étudiantes de master s’engage dans des études doctorales par rapport aux hommes ; une part plus faible des doctorantes candidate sur les postes de post-doctorants, CDD et passage obligé dans un nombre toujours plus grand de disciplines. Elles ont peut-être moins confiance en elles, leur environnement (y compris les enseignants-chercheurs qui les entourent et les encadrent) leur donne moins confiance, mais elles anticipent aussi les sources de vulnérabilité que portent en elles les carrières académiques, du fait de la précarité quasi systématique des débuts de carrière. Cette précarité qui se poursuit parfois tard dans la trentaine fragilise les projets individuels, notamment de maternité, et la capacité à articuler à peu près sereinement les divers rôles professionnels et personnels des femmes, alors que les charges liées à la parentalité reposent encore très largement sur les femmes, même chez les plus jeunes générations. Alors la volonté du gouvernement de multiplier les postes de CDD, dans des logiques incertaines de recrutement par le biais de tenure track (qui plus est en France où ces statuts sont très handicapants dans l’accès au crédit bancaire ou même au logement locatif), n’est clairement pas de nature à inciter les jeunes femmes à faire un doctorat et à postuler ensuite dans le secteur public de l’ESR, qui plus est moins rémunérateur que la recherche industrielle. Augmenter la compétition et la prolonger plus tard encore dans la carrière ne sont que de nature à augmenter des effets bien connus de découragement des f
emmes, indépendamment de leur valeur scientifique.

Par ailleurs, plusieurs évolutions tendent vers une forme de dérégulation des processus de recrutement, là où les règles publiques - bien que ne réussissant pas à assurer une égalité de traitement parfaite entre les candidats femmes et hommes - sont pourtant faites pour cela. Alors que le but est de créer des possibilités de contournement de ces règles, visiblement vues par le gouvernement comme seulement des contraintes et des rigidités, on ne peut que craindre un retour en force du poids de stéréotypes de genre qui évoluent peu dans la société, en tous cas toujours trop lentement, et des effets de domination masculine. Prenons 2 exemples. Le recrutement de doctorants et le recrutement de docteurs sur des CDD de post-docs sont de plus en plus opérés sur des fonds obtenus par appel à projets ou du fait de financements dédiés par les universités au travers d’instituts par exemple. Les règles de recrutement sont ici assez lâches, peu encadrées légalement et largement laissées à la discrétion des star scientists qui ont obtenu ces crédits et sont réputés ensuite gérer leur budget de manière autonome, à l’instar de petits patrons de PME. Pourquoi ceux-ci ne seraient pas emprunts des stéréotypes de genre ? Plus encore, dès lors qu’ils dirigent leur propre affaire, n’auraient-ils pas intérêt à s’assurer de disposer, par le recrutement de jeunes chercheurs, de ressources humaines capables de s’engager complètement dans leurs recherches ? On retrouve le risque de voir les femmes écartées car réputées occupées à d’autres préoccupations sur la décennie 30-40, étant alors moins disponibles voire moins corvéables, et ce quand on sait que les post-docs (et les doctorants) fournissent une très grande part du travail de recherche « réel » (collecte de données, expérimentations, rédactions des articles, etc.) pour le compte de leur patron ou de leur équipe. L’emploi du terme de patron est ici volontaire car les financements par projet, les bourses d’excellence telles les ERC grants
, recréent des situations pourtant un temps combattues à l’université d’enclaves de pouvoir autonome. Les personnels précaires y sont plus fortement dépendants du chercheur ou de l’EC qui les a choisis, recrutés, qui les paient et qui décidera de leur renouvellement (ou pas) et qui mettra son crédit au service (ou pas) de leur insertion professionnelle future. Cette plus grande dépendance est potentiellement source de dérives, alors qu’on ne peut pas faire comme s’il n’existait dans nos milieux pourtant éduqués des phénomènes latents de harcèlement moral et sexuel. Les femmes y sont évidemment plus exposées…

Dernier exemple, la possibilité pour les universités de se passer de la qualification par le CNU des candidats MCF aux concours ouverts de PU (votée le 24 décembre 2020, ce serait presque drôle si ça n’était si dramatique…) est là aussi une forme de dérégulation des parcours de carrières. Le CNU a pour rôle explicite de limiter les effets locaux de baronnie, de patronage, de favoritisme, d’influence sur des critères autres qu’académiques, en rendant un avis par des pairs élus et nommés de la discipline sur le niveau des candidats qui se présentent aux concours de PU. Sans cette qualification nationale, le pouvoir est rendu en plein au niveau local, à l’université, avec le risque d’un poids plus fort encore (que ce qu’il n’est déjà, ne soyons pas naïfs) des relations personnelles, des réseaux d’influence, des renvois d’ascenseurs, des liens d’allégeance, etc. Le CNU permettait de limiter l’endo-recrutement (en tous cas de ceux dont le dossier était jugé insuffisant pour devenir PU), dont on peut facilement imaginer qu’il reparte à la hausse. L’endo-recrutement est déjà très important dans les universités de province et AMU, malgré sa taille, n’y échappe pas, avec 52% des MCF originaires d’AMU, alors que la moyenne nationale est à 15%. Si cela peut permettre des promotions internes, et donc n’est pas mal en soi, cela pose deux questions malgré tout. La suppression de la « certification qualité » apportée par le CNU pourrait aboutir à une baisse de la qualité des candidats et des PU, certains pouvant être sélectionnés sur d’autres critères que leur seule valeur intrinsèque disons. D’autre part, des carrières laissées aux mains de l’université employeuse posent un énorme problème de perte d’indépendance des MCF notamment. Autant dire que ces derniers, sachant leurs perspectives de carrière dépendant toutes entières du niveau local, se sentiront beaucoup moins en capacité de refuser, de s’opposer, de dire non, de se protéger, de protester, etc. vis-à-vis des collègues, r
esponsables de composantes et d’unités de recherche, etc. Ces derniers tendent, par les réformes successives de l’ESR, à être installés de plus en plus comme de quasi supérieurs hiérarchiques, ce qu’ils n’étaient pas jusqu’alors pour les EC. Il s’agit de savoir ici comment maintenir des marges de manœuvre pour les personnes qu’il s’agisse de refuser de faire des heures complémentaires, de prendre des responsabilités chronophages et plus globalement de s’opposer à tout type de comportements abusifs. La régulation nationale par les pairs et les règles de la fonction publique sont/étaient là pour protéger les agents et notamment les plus vulnérables, dont les femmes.

En les fragilisant, la responsabilité retombe alors sur le niveau local (l’université) de veiller fermement et courageusement à ce que dans la vie des composantes et des laboratoires, comme au moment des concours et des examens de dossiers de demandes de primes, de congés, de promotions etc., les personnels et notamment les personnels féminins soient traités de manière correcte et équitable. Il s’agira alors d’avoir dans les gouvernances des universités des responsables réellement engagés sur ces sujets, et challengés en cela par les personnels et leurs représentants.

TdM

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