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jeudi 19 février 2015

C’est la qualité du travail dans la vie que nous voulons

La qualité de vie au travail est supposée s’intéresser aux processus et aux manières de faire, produire, exécuter, servir. Elle est censée intégrer différents critères comme les conditions de travail, de sécurité et de santé. Or, pour les directions, la priorité est à la défense de la production dans un marché concurrentiel. Dans le service public national d’enseignement supérieur et de recherche (ESR), les lois LRU-Pécresse (2007) et LRU-Fioraso (2013) ont instauré et exacerbé la concurrence entre universités et donc la recherche absolue de la performance économique. Alors que, pour les salariés et les agents, il s’agit avant tout de réaliser un travail de qualité, de disposer des moyens de faire correctement leur travail, car le bien-être au travail passe par le bien-faire en conformité avec les règles déontologiques du métier ou celles des équipes de travail.

Face aux contraintes "managériales" et économiques imposées par l’employeur privé comme public, le travailleur devient la proie de conflits internes entre les exigences du bien-faire, de la "belle ouvrage" et les risques d’une usure prématurée, d’un corps qui se rebelle contre les "cadences infernales", comme on disait autrefois. La mise en concurrence entre souci de soi et souci du travail bien fait, tout en tentant de répondre aux objectifs impossibles prescrits par la hiérarchie, se révèlent bien souvent être un piège mortel pour les travailleurs, au sens figuré mais aussi hélas au sens propre, comme on l’a vu à France-Telecom ou ailleurs.

La qualité de vie au travail dans la Fonction Publique d’État, ne peut se décréter par un accord-cadre sans prendre en compte le travail réel, c’est-à-dire sans revenir sur les conditions dans lesquelles le travail doit être réalisé. C’est donc bien de la qualité du travail dans la vie qu’il devrait s’agir et non de concilier des conditions de vie supportables avec des conditions d’emploi qui sont contraintes par des objectifs de rentabilité, de performance et de compétitivité internationales brandies comme étant incontournables.

De quoi s’agit-il précisément ?

La notion de qualité de vie au travail (QVT) a été introduite par l’Accord National Interprofessionnel (ANI) vers une politique d’amélioration de la QVT et de l’égalité professionnelle du 19 juin 2013 que la CGT a refusé de signer. Dans la Fonction Publique, la QVT a été évoquée en septembre 2013 dans le projet d’accord-cadre sur la prévention des risques psychosociaux puis sa déclinaison au sein de la Fonction Publique a débuté en octobre.

Le préambule du texte déclare :
« Les conditions d’exercice des missions des agents publics, leurs métiers et l’organisation des services ont beaucoup évolué » ; selon les rédacteurs, les causes sont à chercher dans les « nouvelles technologies, (les) évolutions des attentes des usagers ».
Pas un mot, en revanche, sur les conséquences des politiques d’austérité (suppressions de postes, dégradation des conditions de travail), via notamment la révision générale des politiques publiques (RGPP) de Nicolas Sarkozy, poursuivie pour l’essentiel et renommée Modernisation de l’action publique (MAP) par son successeur, François Hollande.

Ensuite, les rédacteurs imputent la souffrance des agents à « l’individualisation croissante du travail et les sentiments d’éloignement des valeurs du service public » ; mais à aucun moment il n’est fait mention des délocalisations, restructurations et mutualisations passées et à venir lesquelles, outre la surcharge de travail qui en découle, sont les causes directes du mal être et de la souffrance au travail.

Autre affirmation du texte : « La notion de qualité de vie au travail renvoie à des éléments multiples, qui touchent les agents individuellement comme collectivement et permettent, à travers le choix des modalités de mise en œuvre de l’organisation du travail, de concilier la qualité des conditions de vie et de travail des agents et la qualité du service public.
L’amélioration de la qualité de vie au travail est une démarche qui regroupe toutes les actions permettant d’assurer cette conciliation. Il s’agit d’un processus social concerté permettant d’agir sur le travail (contenu, organisation, conditions, contexte) à des fins de développement des personnes et des services.
 »

On est là, loin de remettre en question la violence du management à la performance, de la course à la rentabilité et de la marchandisation à tout va. Il n’est ici question que de concilier bien être et performance hors de tout contexte du travail réel !

Plus loin, des caractéristiques permanentes du travail réel et intrinsèques aux collectifs de travail, sont présentées comme des nouveautés : ainsi, sont déclarés comme de nouvelles avancées, « la reconnaissance de l’agent comme acteur de l’organisation de son travail », « le droit d’expression directe des agents sur le contenu et l’organisation de leur travail » ou « le droit au respect de la séparation entre vie personnelle et vie professionnelle. »

Ce qui est visé à travers ce texte, c’est la négation du rôle des organisations syndicales et de leur légitimité à défendre et revendiquer les droits fondamentaux des travailleurs. Au lieu de permettre, comme il le prétend, la « prise en compte de la parole des travailleurs », ce projet d’accord-cadre cherche au contraire à neutraliser la parole des agents et à les détourner des organisations syndicales qui leur permettent de s’organiser pour élaborer et porter leurs revendications collectivement. Ce qui est présenté comme une avancée historique n’a d’autre but que favoriser l’individualisation et la négociation de gré à gré au détriment de la construction collective de la réflexion et des revendications pour exiger des améliorations significatives pour tous les travailleurs ou un groupe de travailleurs d’un établissement.

Cet accord cherche à isoler l’« agent acteur » dans des « espaces d’expression » mis en place par les chefs d’établissements, sous leurs seuls pouvoirs discrétionnaires. On veut détourner les travailleurs des espaces d’expression codifiés et réglementés comme les registres obligatoires et les CHSCT afin d’extraire les chefs d’établissements et employeurs de leurs responsabilités en matière de santé et de sécurité. Seuls face à la pression hiérarchique, quels agents pourront véritablement faire valoir leur droit d’expression et s’opposer aux réorganisations et restructurations à venir (métropolisaiton, ComUE, délocalisations, mutualisations, etc.) ?

De la même façon, la « Mesure 5 : Faire de l’entretien professionnel un moment privilégié d’échanges », voudrait présenter l’entretien professionnel comme un moment de reconnaissance du travail réalisé. Alors que les entretiens professionnels n’ont d’autre objectif que mettre en place un contrôle professionnel à partir d’une évaluation individuelle fixant des objectifs sans tenir compte du contexte d’exercice (baisse des moyens humains et financiers) et du fonctionnement des collectifs de travail. En lieu et place d’une reconnaissance du travail réalisé, seul devant son supérieur hiérarchique, on y est seulement jugé sur ses savoirs êtres, ses compétences et la qualité de ses performances. Et, si la hiérarchie a décidé de se séparer de l’agent, toutes les évaluations seront soigneusement instruites à charge pour justifier, le moment venu, l’éviction de l’agent concerné.

Ce projet d’accord-cadre sur la QVT proposé à la signature des organisations syndicales le 8 janvier 2015 par le ministère de la Fonction publique, n’a nullement l’ambition de doter les personnels de nouveaux droits. Bien au contraire, il les rogne méthodiquement et insidieusement en privant à terme les travailleurs de tout capacité d’organisation collective pour résister aux pressions de leurs hiérarchies. C’est la précarité permanente de tous les travailleurs que ce texte instaure, y compris au sein même de la Fonction publique, pour tous les personnels titulaires.

C’est pourquoi la CGT FERC Sup se prononce clairement contre la signature par la CGT de cet accord-cadre supposé porter sur la qualité de vie au travail dans la Fonction publique.

Au lieu de cela, le ministère de la Fonction publique devrait s’attacher à renforcer les droits des personnels et les prérogatives des CHSCT en obtenant des employeurs publics qu’ils respectent leurs obligations, non dérogatoires, dans ce domaine.