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mercredi 15 juin 2022

CNESER du 14 juin 2022 - Déclaration CGT, Analyse de l’arrêté Doctorat

Déclaration CGT au CNESER du 14 juin 2022

Madame la Ministre,

La situation générale de l’ESR est inquiétante. Les politiques mises en œuvre ont tourné le dos au projet essentiel pour l’avenir de notre pays, d’un enseignement supérieur démocratisé, accessible à tous et de qualité. Sous le quinquennat précédent, les politiques engagées n’ont eu de cesse de fragiliser toujours plus les grands organismes publics de recherche, les universités et les étudiants.

Nous avons notamment assisté :

  • À une mise en concurrence des établissements, des personnels et des étudiants.
  • À une accentuation des regroupements d’établissements avec le renforcement d’un enseignement supérieur à plusieurs vitesses.
  • À l’organisation d’une pénurie dans l’Enseignement Supérieur public abandonné sans moyen de locaux, de postes, de fonctionnement de base pour faire face à l’afflux d’étudiant·es.
  • À un renforcement de la sélection dès l’entrée dans le supérieur via une orientation imposée par l’algorithme ParcourSup avec un tri massif, puis un goulot d’étranglement à l’entrée du master.
  • Au défaut de la réforme des bourses pourtant promise, mais à une réduction des APL.
  • À des hausses drastiques des frais d’inscription pour les étudiant·es étrangers et dans les écoles d’ingénieur publiques
  • À une professionnalisation à outrance, adéquationniste et ne répondant pas aux besoins à long terme des diplômes comme des entreprises.

En revanche, dans le même temps c’est le tapis rouge qui a été déroulé pour l’enseignement privé par l’intégration d’établissements privés dans les regroupements d’universités et les établissements expérimentaux, par la dispersion à tout va des grades universitaires, et par le financement indirect par l’apprentissage et les bourses.

Le long épisode de la crise sanitaire aura été marqué pour les universités, par un abandon de la communauté scientifique et des étudiant·es et par une gestion catastrophique. Dans les établissements laissés livrés à eux-mêmes, se sont généralisées des conditions de travail et d’études dégradées engendrant une souffrance accrue au travail pour tous les personnels, une augmentation inédite de la précarité étudiante, s’accompagnant d’une explosion de la détresse psychologique et d’un abandon des études.

Pour la CGT, il est temps de mettre un terme à cette entreprise de destruction du Service Public de l’ESR.

Il est nécessaire de se réapproprier la feuille de route de la StraNES, concernant l’objectif de mener à minima 60% d’une même classe d’âge à l’obtention d’une licence. Cela suppose de donner des moyens renforcés à l’éducation, de construire de nouvelles universités et de lâcher la boussole du classement de Shangaï pour assurer l’accès du plus grand nombre de jeunes à l’enseignement supérieur, pour leur garantir les meilleures conditions d’études et d’épanouissement. Le pays a besoin d’elles et d’eux. L’université aurait dû être une priorité des plans de relance, pas à travers un PIA 4 renforçant le schéma contestable actuel, qui arrose là où c’est déjà mouillé et qui met l’ESR au service du court-terme et des exigences de rentabilité financière du monde économique. Il est temps que les dépenses nationales pour l’Enseignement Supérieur atteignent immédiatement les 2% du PIB et 3% dans les années à venir.

Quant à l’effort global de recherche, notre pays n’est pas du tout au niveau des pays économiquement comparables, ce qu’a bien analysé le conseil économique social et environnemental à l’occasion des avis qu’il a produits sur la LPR et dans ses rapports annuels de l’état de la France. Quand l’Allemagne consacre 3.17% de son PIB à la recherche, la France affiche quant à elle péniblement 2.2%. Le secteur de la recherche publique manque de moyens et souffre d’une précarité endémique, avec 0.8% du PIB consacré à la recherche publique. Les EPST, Universités, EPIC sont confrontés à des budgets propres extrêmement insuffisants, à des réductions drastiques d’effectifs et à la mise en place de financements précaires à travers les AAP de plus en plus orientés sur des projets de court-terme.

Quant aux entreprises de notre pays, leur investissement en propre dans la recherche, hors aides publiques, stagne à 1.1% depuis plus d’une décennie. Accaparé et largement détourné par certains grands groupes pour l’accroissement de leurs marges, le généreux CIR à plus de 7 milliards, n’a pas engendré les efforts et les productions que la nation était en droit d’attendre. A l’exemple de SANOFI qui n’a pas été capable de proposer un vaccin contre la COVID, plusieurs grands groupes industriels réduisent leurs capacités de recherche et de production tout en bénéficiant de l’aide de l’Etat. Même les aides économiques massives durant la crise de la COVID n’ont pas empêché plusieurs entreprises d’engager des restructurations et des PSE. Certains grands groupes parmi lesquels Michelin, Nokia, Renault, IBM, General Electric taillent dans leurs effectifs de recherche et d’ingénierie compromettant clairement l’avenir industriel de notre pays déjà bien mis à mal dans ce domaine.

Ni la Loi de programmation de la recherche votée à la sauvette en pleine période de pandémie fin 2020, ni les plans de relance proposés pour sortir de la crise sanitaire ne sont venus rectifier des orientations qui mènent à ce constat. Pire les choix qui les sous-tendent ne font qu’accentuer la dérive engagée depuis deux décennies.
Sur le financement comme sur l’emploi et la recherche partenariale, on est très loin du compte !

Pour répondre à ce contexte alarmant, la CGT avance 4 axes :

  1. Créer et développer les conditions pour une R&D publique ambitieuse. La recherche fondamentale doit bénéficier de personnels sous statut et de moyens récurrents. Les enjeux du futur ne peuvent être relevés par le pays sans une recherche publique ambitieuse permettant de faire progresser le front des connaissances dans tous les domaines. Pour répondre aux besoins de la société et permettre un essor industriel et un développement de l’emploi dans notre pays, la CGT considère qu’il faut accroître substantiellement les moyens de la recherche en amont, sans laquelle toute velléité de R&D ou d’innovation est vaine.
  2. Proposer des conditions de transfert « Recherche publique-monde économique » profitables à toutes les parties en s’appuyant notamment sur les EPIC recherche, afin que la France puisse transformer au mieux ses avancées scientifiques en applications industrielles et économiques.
  3. Mettre en œuvre des mécanismes capables de booster l’investissement du secteur privé dans la R&D. Il ne peut en effet y avoir d’économie durable sans un effort conséquent de dépenses des entreprises dans la recherche.
  4. Permettre un accès plus important de la société à la connaissance. Ce qui pose la question de la démocratisation des savoirs et des choix en ce qui concerne la recherche et l’innovation. Plus que jamais notre pays a besoin d’une démocratie sociale effective.

La paupérisation de nos services publics et la crise des recrutements est directement le résultat des politiques low-cost, de négation de la qualification et de déclassement salarial : la 7ème puissance mondiale n’a plus assez d’enseignants, de chercheurs, de médecins, d’infirmiers, d’ingénieurs … La France est confrontée à un problème majeur dans son système de santé. Les urgences des hôpitaux craquent, les personnels et leurs organisations syndicales ont maintes fois tiré le signal d’alarme. La situation est gravissime. En dépit des discours et des promesses, les moyens pour former les personnels de santé font défaut.

Pour la CGT, il est urgent de réorienter le pays sur d’autres voies pour répondre aux besoins des populations et aux défis qui sont les nôtres. C’est à cela que nous entendons ici et ailleurs travailler. Vous avez précisé que vous ne disposiez pas de baguette magique, mais vous le savez, il appartient au gouvernement de faire les choix politiques de financement et de consolidation du Service Public d’enseignement supérieur et de recherche sans lequel il nous sera impossible de relever les défis.

Pour conclure sur le CNESER

La CGT présente dans la diversité des collèges de cette instance, impliquée sur l’ensemble des problématiques examinées, exprime à l’occasion de votre prise de mandat, madame la Ministre, le souhait d’un CNESER utile et efficace, consulté et respecté. Cela signifie que les avis notamment unanimes soient suivis par le ministère.

Il est peut-être utile de rappeler que les missions du CNESER concernent à la fois l’Enseignement supérieur et la Recherche. Si les contours du CNESER ont changé depuis 2015, ses missions ont été élargies et de nouveaux collèges y ont fait leur entrée, force est de constater qu’un rééquilibrage est nécessaire pour que plus de temps soit consacré dans cette instance aux orientations de la recherche, aux moyens et aux orientations des organismes de recherche, à l’exemple des EPIC.

Projet d’arrêté doctorat : synthèse de la CGT FERC Sup

L’ambivalence constitutive de cet arrêté, particulièrement au sujet du comité de suivi individuel de thèse (d’une part, constituer un cadre d’échange autour des travaux de la doctorante ou du doctorant et évaluer les avancées de sa recherche, et d’autre part, veiller au bon déroulement de sa thèse) n’est pas levée par la nouvelle version du projet d’arrêté, malgré le recul du MESR sur l’ajout d’une pré-soutenance à huis clos et le rôle de sanction du Comité de suivit de thèse (CST) lors de la réinscription en thèse. Actant l’application des principes délétères de la LPR, il ne prend que partiellement en compte les réels besoins des doctorant·es, et loin de les renforcer, détricote leurs droits.

Comités de suivi de thèse

À ce jour, l’addition des prérogatives du comité de suivi individuel (conseil ou évaluation scientifique, suivi de la formation doctorale, rôle de prévention des conflits) rend difficile, voire impossible, la lisibilité et le fonctionnement du dispositif.

Il est fondamental que le comité de suivi de thèse s’inquiète de la santé au travail du doctorant, souvent minorée ou invisibilisée. S’intéresser aux recherches produites par le doctorant sans s’intéresser à ses conditions d’encadrement, de recherche voire, dans certains cas, d’enseignement, ne peut que conférer un rôle hors-sol au comité de suivi. Parce qu’il veille au bon déroulement du cursus du doctorant, le comité de suivi de thèse doit veiller aux conditions matérielles de réalisation du doctorat : le doctorant doit avoir accès à un bureau, à un ordinateur, aux logiciels requis par son travail et à toute autre aide financière dont il aurait besoin pour ses recherches, quels que soient sa discipline, son laboratoire et son institution de rattachement, et qu’il dispose d’un contrat doctoral ou non. C’est aujourd’hui, et nous le déplorons, loin d’être la norme : le MESR doit de toute urgence considérer et traiter les doctorant·es comme les travailleur·euses qu’iels sont, et prendre en charge le coût de leur travail.

Les comités de suivi doivent pouvoir être appréhendés de manière sereine par le doctorant, susceptible de faire part au comité des problèmes relationnels qu’il rencontre dans le cadre de son doctorat. Il n’est pas question de dire que le comité de suivi doive se doter d’un rôle d’instruction qui n’est pas le sien : composé a minima d’un membre extérieur au laboratoire, à l’établissement et à la discipline du doctorant et de son ou sa directrice de thèse, il doit pouvoir alerter l’école doctorale s’il venait à constater ou si le doctorant lui en faisait part, de problèmes d’encadrement, qu’il s’agisse d’un mauvais encadrement de la thèse, ou de problèmes de harcèlement, quels qu’ils soient. Nous défendons à ce titre la nécessité pour les membres des comités de suivi individuels d’être sensibilisé·es et formé·es à la prévention des conflits, et à la détection des violences de tout ordre pouvant survenir dans le cadre du travail doctoral. Nous le savons, le statut, la précarité et les conditions de travail des doctorant·es les exposent particulièrement à une santé dégradée ayant des conséquences directes sur leurs conditions de vie, d’étude et de travail.

Contrats doctoraux de droit privé

L’introduction des contrats doctoraux de droit privé, qui avait suscité de vifs débats lors de l’adoption de la LPR, menace les conditions de travail des doctorant·es et consacre la privatisation croissante du doctorat. L’introduction de ce type de contrat induit un changement de paradigme très clair dont nous nous alarmons : nous nous inquiétons ainsi des conditions d’encadrement des thèses réalisées dans ce cadre, de la préservation des libertés académiques, du maintien d’une rémunération décente, et de l’exposition des doctorant·es aux restructurations régulières qu’une entreprise est susceptible de connaître. C’est la porte ouverte à de nombreuses dérives institutionnelles que le projet d’arrêté ne peut parvenir à lever.

Charge et formation doctorale

La CGT FERC Sup s’inquiète également des exigences croissantes pesant sur les doctorant·es alors que la compétition entre doctorant·es et jeunes docteur·es est exacerbée par la raréfaction des postes. Imposer un cadre et volume de formation sans prise en considération de ces enjeux n’est pas viable : il est en ce sens vital que les représentant·es des doctorant·es prennent directement part à l’élaboration de la circulaire évoquée lors de la séance du 14/06 et censée proposer un cadre de formation national.
Si les écoles doctorales doivent s’assurer de proposer aux doctorant·es des formations adaptées à leurs besoins, il convient de mesurer l’ampleur des exigences pesant sur les doctorant·es : est-il vraiment souhaitable, ou même possible, de produire une thèse de qualité en trois ans avec contrat, ou 6 ans sans contrat, tout en communiquant, en valorisant sa recherche, en suivant des dizaines d’heures de formation, et en effectuant des enseignements, chacune de ces tâches s’avérant nécessaire pour espérer un poste de titulaire ?

Serment

Nous nous alarmons enfin du serment annexé à ce projet d’arrêté, et demandons à ce que le MESR suive l’avis du CNESER sur ce point, afin de ne conserver que le squelette de texte présent dans la LPR. Définir notamment l’intégrité scientifique comme « respect envers la société » ou envers « l’héritage culturel » étonne nécessairement, tant l’on voit difficilement en quoi ils constitueraient l’un des présupposés d’une thèse ou d’une formation doctorale aboutie. On voit en revanche facilement les dérives dangereuses auxquelles peut donner l’interprétation de ce paragraphe, qui menace directement les libertés académiques.

Conclusion

On le voit, les freins à la réalisation d’un doctorat dans de bonnes conditions sont nombreux, et cet arrêté ne vient pas vraiment les lever. Quatre pistes - pour n’en garder que 4 - doivent être rapidement explorées afin d’agir efficacement et urgemment sur les conditions de travail des doctorant·es : 

  1. mettre fin à l’injustice des revalorisations par pallier des contrats doctoraux en indexant tous les contrats doctoraux sur le dernier palier de revalorisation prévu par la LPR ; indexer ces rémunérations sur la valeur du point d’indice ;
  2. revaloriser les contrats doctoraux pour tenir compte de l’inflation galopante ; 
  3. revaloriser les heures d’enseignement dispensées par les doctorants pour les rémunérer autrement qu’en dessous du SMIC, et surtout, à la hauteur de leurs compétences ; 
  4. élargir conjointement le contingent de contrats doctoraux, et le nombre de postes de titulaires d’enseignantes-chercheur·es pour donner de réelles perspectives d’avenir aux doctorant·es.

Vote sur le projet d’arrêté Doctorat

Vote sur le texte sans les amendements proposés par le CNESER : 18 pour - 13 contre (dont la CGT) - 5 abstentions
Vote sur le texte avec les amendements du CNESER : 6 pour - 13 contre (dont la CGT) - 3 abstentions - 14 NPPV