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mardi 13 février 2024

L’orientation des filles dans l’enseignement supérieur

Françoise Morel-Deville
Syndicat CGT FERC Sup ENS Lyon

Depuis l’enfance, les filles sont exposées à des normes de genre et à des stéréotypes qui conduisent à un déséquilibre dans l’orientation et dans la diversité des promotions et des carrières. Les conséquences économiques et sociales sont massives puisque c’est la place des femmes dans la société qui est en jeu.

© Rue 89 Strasbourg - flickr

Toujours plus élitiste et compétitif, le système éducatif français opère le tri des élèves au nom de la seule méritocratie, comme si l’on pouvait omettre les différences de capital économique, culturel et relationnel des familles ou les inégalités entre les établissements scolaires. Dans toute leur scolarité, à résultats égaux, les filles se sentent moins responsables de leur propre réussite, moins confiantes et surtout moins compétentes que les garçons, selon le ministère de l’Éducation nationale. C’est ainsi qu’un écart de performance en mathématique apparaît dès la maternelle [1], et, plus tard, les filles s’autocensurent dans leurs ambitions par rapport aux garçons.

Ce phénomène s’est accentué avec la réforme Parcoursup en 2018, et celle du lycée en 2019, avec des choix plus précoces de spécialités au Bac (en classe de Première). Or, la précocité des choix accentue la dimension genrée des options conseillées et offertes et les refuges dans les profils stéréotypés. A notes égales, les lycéennes sous-estiment leur niveau et font des vœux moins ambitieux [2], dans des filières moins prestigieuses, moins sélectives et aux débouchés moins attrayants financièrement que les garçons. Avant la réforme Blanquer, les terminales S (scientifique) comptaient 48,4 % de filles et 43 % choisissaient la spécialité mathématique en terminale (MENJ, 1994 - 2019). En 2021, elles ont massivement arrêté les mathématiques en première pour n’être plus que 38,6 % et moins de 13 % à choisir la doublette physique- chimie/maths comme spécialité au Bac. En deux années de réformes, cette proportion est inférieure à la situation de 1995, soit vingt ans d’effort perdus. Symétriquement, l’option maths expertes, et NSI (numérique et sciences informatiques, ouverte en 2020), du fait de présentation élitiste pour entrer en prépa Math Sup et dans les écoles d’ingénieurs, sont prioritairement choisies par les garçons des meilleurs lycées de centre-ville.

Parcoursup : où sont les filles ?

Plus nombreuses à poursuivre des études supérieures (53% des étudiants de 18 à 24 ans), les filles font des choix d’orientation différents dans les filières [3]. Elles sont largement minoritaires en classes prépas [4], (2021 : 30,9 % en CPGE scientifiques, 23 % en informatique et 34 % en ingénierie. 2022 : 14,6 % en numérique et 13,6 % en sciences de l’ingénieur·e). En grandes écoles, on compte 34 % d’étudiantes, dont 28,3 % d’ingénieures [5].
Les universités sont un peu mieux loties avec 57% d’inscrites. Mais les filières sont genrées., les inégalités s’accumulant au fil des études avec la multiplication des formations et aux doubles diplômes toujours défavorables aux étudiantes, moins à l’aise dans les milieux compétitifs. Les filles sont sous-représentées en Stim [6] les plus sélectives et BUT (19 % en numérique, 32 % en ingénierie), et en Staps (30 %) [7]. A l’opposé, elles sont 44 % en filières non sélectives, la santé étant massivement féminisée avec 89% des inscrites en formations paramédicales (infirmière, kinés, orthophoniste, éducateur spécialisé).

Des préjugés et des environnements sexistes

Selon le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCE), les préjugés sur les capacités des filles en sciences perdurent en 2023 : « l’éviction des lycéennes des parcours scientifiques renvoie la situation des femmes à une période antérieure à leur émancipation économique » [8]. Le Gender Scan [9], indique que 7 % seulement des adolescentes disent avoir envie de s’orienter vers le numérique contre 29 % des garçons. Le HCE rappelle aussi que les étudiantes de Staps témoignent à 40 % de la répétition de remarques sexistes, tenues par des camarades comme par des enseignant·es. Dans les Stim, elles sont 38 % à avoir été victimes de sexisme et 35 % en numérique. Ces comportements démoralisants leur donnent envie de quitter cette formation.

Un manque d’information dans l’orientation

Seulement 29 % des lycéennes ont une bonne connaissance du contenu des formations et des taux de réussite, comparativement à 46 % des garçons. Or, les étudiantes réussissent en général mieux leurs études, en étant plus concentrées et plus appliquées.

Une dépense d’études moins élevée

Les dépenses consacrées aux étudiantes sont inférieures de 18% à celles allouées aux étudiants, puisqu’elles sont moins nombreuses dans les formations bénéficiant des meilleures conditions d’études et de ressources financières publiques et privées les plus élevées [10] : 10 % à bénéficier d’au moins 35 700 euros, et moins de 5 % pour des dépenses supérieures à 52 500 euros.

Des inégalités dans l’emploi et les carrières

En entreprise, le sous-emploi des femmes les plus diplômées et leurs salaires à l’embauche perpétuent les inégalités sur le marché du travail [11]. Le taux de femmes en emploi d’ingénieur est inférieur à 10 % en 2020, et stagne depuis vingt ans. Elles sont 6% dirigeantes de grandes entreprises, et trois directrices générales dans le CAC 40. A l’université, les femmes les plus diplômées se heurtent au plafond de verre : 17 % sont directrices d’écoles, 20% présidentes d’université et 12,5 % présidentes d’EPE.

Pour contrecarrer ce cercle vicieux dans notre secteur, il est urgent d’intégrer davantage de femmes aux différents niveaux : imposer une pédagogie égalitaire et accompagner les filles dans l’orientation avec des quotas d’admission dans les filières scientifiques, imposer la parité dans tous les jurys de l’ESR, favoriser les bourses et les promotions féminines, etc. A la CGT FERC Sup, nous avons la conviction que l’égalité entre les femmes et les hommes est créatrice de valeur, c’est pourquoi nous voulons obtenir cette égalité dans les faits, et pas seulement dans les textes du ministère, dont les mesures actuelles ne sont pas crédibles.


[1Boy’s math performance, compared to girls’, jumps at age 6, British Journal of Developmental Psychology, Jean-Paul
Fischer et Xavier Thierry, 2022 : https://doi. org/10.1111/bjdp.12423.

[2Confiance en soi et choix d’orientation sur Parcoursup : Enseignements d’une intervention randomisée, Institut des Politiques Publiques, IPP n°93, Juillet 2023 : https://www.ipp.eu/publication/ confiance-en-soi-et-choix-dorientation- sur-parcoursup-enseignements-dune- intervention-randomisee/

[3Dépenses d’enseignement supérieur : quelles disparités selon le genre des étudiants ? Note de l’Institut des Politiques Publiques, IPP n°83, Octobre 2022 : https://www.ipp.eu/publication/depenses- denseignement-superieur-quelles- disparites-selon-le-genre-des-etudiants/

[4Femmes et hommes, l’égalité en question, Édition 2022, Insee, 3 mars 2022 : https://www.insee.fr/fr/
tistiques/6047727 ?sommaire=6047805

[5Ce taux avait beaucoup augmenté depuis le début de la féminisation de ces formations, dans les années 1970, jusqu’au début des années 2000, mais il stagne depuis.

[6Sciences, technologie, ingénierie et
mathématiques

[7Statistiques de Parcoursup 2022, MESR opendata : https://data.enseignementsup- recherche.gouv.fr/pages/parcoursupdata/

[8La Femme Invisible dans le numérique : le cercle vicieux du sexisme, rapport du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, 7 novembre 2023 : https://
www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/ cp_-_rapport_numerique_07-11-2023.pdf

[9L’enquête Gender Scan est une étude internationale - en partenariat avec l’UNESCO et des associations internationales - sur les femmes dans
les métiers scientifiques et techniques : https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/ gender-scan/

[10IPP n°83, octobre 2022

[11Connaissance des coûts est un projet conduit par le MESR entre 2016 et 2019 auprès de 65 établissements, accueillant environ un tiers des étudiants.