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mardi 13 février 2024

Égalité : s’emparer de ce principe pour en faire une exigence syndicale !

Aurore Pomero

En créant des ruptures d’égalité majeures entre les personnes, la loi pour « contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » adoptée le 19 décembre 2023 par l’Assemblée nationale, met en lumière le quotidien difficile des personnes issues de l’immigration déjà perceptibles dans nos établissements d’enseignement supérieur et de recherche (ESR). Face à cette offensive sans précédent et à un Président de la République en roue libre qui n’hésite plus dans le même temps à soutenir publiquement un homme mis en examen pour viol et violences sexuelles commises à l’encontre de plusieurs femmes, il y a urgence à faire de l’égalité une exigence absolue dans nos combats syndicaux.

En France, l’égalité est un principe à valeur constitutionnelle. Or, quelques clics sur le site internet du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) et l’on constate qu’elle n’est qu’un mirage [1]. Nos universités et nos écoles sont inégalitaires. En 2023, trois fois plus d’enfants de cadres que d’enfants d’ouvrier·es occupent les bancs de l’université [2] ; alors qu’elles représentent plus de 45 % des effectifs de maîtres·ses de conférence, les femmes ne sont plus que 30 % à occuper des postes de professeures des universités [3] ; parmi l’ensemble des personnels de l’ESR, les femmes sont plus souvent en contrat précaire CDD (19 %) que les hommes (15,5 %) [4] ; une femme scientifique sur deux a été victime de harcèlement sexuel au travail [5] ; une étudiante sur dix a été victime de violences sexuelles [6] ; un·e candidat·e en master qui signale son origine présumée maghrébine a 11 % de chances en moins de recevoir une réponse à une simple demande d’informations qu’un candidat·e qui se signale par un prénom présumé français [7].

S’emparer syndicalement de l’égalité est une priorité absolue. Non pas pour permettre à chacun·e d’avoir les mêmes chances de réussite. Ni parce que les violences masculines relèvent de la santé au travail ou dans les études. Ni parce que les inégalités professionnelles représentent un coût annuel de plusieurs milliards d’euros pour la société. Ni parce que les discriminations à caractère raciste sont interdites par la loi. Il s’agit certes de motifs entendables, mais qui esquivent les questions fondamentales. Mais pourquoi faudrait-il une raison à vouloir qu’une femme racisée ne soit pas harcelée lorsqu’elle entre dans sa salle de cours ? Nous ne voulons pas de violences parce qu’elles sont insupportables et qu’elles nous détruisent. Nous avons besoin d’égalité pour vivre et exister ensemble. Ce sont bien ces exigences qui doivent guider nos actions militantes.

Depuis 2013, les établissements de l’ESR se sont dotés de missions « égalité entre les femmes et les hommes » [8]. Au fil des années, leurs champs d’actions se sont élargis - lutte contre le racisme, l’antisémitisme, le validisme, les LGBTQIA+phobies, les discriminations, promotion de la « diversité », etc. - si bien que 10 ans plus tard, la majorité des structures existantes se nomme « mission égalité [9] ». Si l’on peut y voir le signe d’une meilleure prise en compte du caractère intersectionnel des oppressions vécues par les femmes, les minorités de genre et d’orientation sexuelle, les personnes racisées ou non-valides, on ne peut que s’interroger sur la signification matérielle et concrète de l’absence de moyens durables pour mener de front toutes ces luttes. Comment protéger nos collègues et nos étudiant·es des violences sexistes, sexuelles ou discriminatoires sans personnel formé et dédié à 100 % à cette mission ? Comment dans ces conditions aller au-delà de l’affichage et dépasser des mesures cosmétiques ? Sans moyen ni volonté politique, les plans triennaux obligatoires relatifs à l’égalité professionnelle ne seront que des coquilles vides.

De plus, parmi toutes ces formes d’oppression « gérées » par les missions égalité, la lutte contre les inégalités sociales demeurent en arrière-plan ou brillent par leur absence, comme si l’on pouvait corriger les inégalités salariales entre les femmes et les hommes sans prendre en compte les rapports sociaux de classe.

Les personnels en charge des missions égalité sont en grande difficulté. L’absence de soutien politique fort, de moyens pérennes et la multiplication des sujets d’actions, génèrent de la souffrance au travail. Seules 28 % des « personnes en charge de la politique égalité-diversité » occupent des fonctions de Vice- président·es au sein de leur établissement [10]. Les personnels dédiés à temps complet sont dans leur immense majorité « des agent·es contractuels [11] ». A la précarité de la fonction et du statut, s’ajoutent les batailles incessantes pour exister et faire respecter la loi : absence de locaux, dénigrement suite à l’organisation d’un événement sur la précarité menstruelle, confrontation aux décisions illégales en matière de protection de victimes de violences sexuelles, freins dans la carrière par sexisme ou racisme… Sans parler des difficultés supplémentaires qui émergent quand les collègues en charge des missions égalités subissent eux-même des discriminations.

Pendant qu’iels s’épuisent, les inégalités s’accroissent, les violences persistent et la colère monte. Les files d’attente d’étudiant·es dans les distributions alimentaires organisées au sein de nos universités s’allongent inexorablement. Avec plus de 35 % d’agent·es non titulaires, l’ESR enregistre le record de taux d’emplois précarisés de la fonction publique [12]. « En moyenne, 28 situations [de violences] ont été signalées en 2022 par les établissements (...) » [13], avec de grandes disparités en fonction du niveau de connaissance et de confiance dans les dispositifs existants. Jusqu’en 2022, pour accompagner les établissements dans la prise en charge des victimes de violences sexistes, sexuelles et discriminatoires et dans le traitement des violences, la seule réponse du ministère consistait à lancer un appel à projets annuel...

Dénoncer par les actrices et les acteurs de terrain et par les organisations syndicales étudiantes et de personnels, cette mise en concurrence entre établissements des réponses apportées à l’insupportable a finalement été abandonnée, sans que nous sachions précisément comment l’argent économisé sera utilisé.

La pression des mouvements sociaux et l’organisation des opprimé·es et de leurs allié·es font bouger les lignes. Sans #MeToo, il n’y aurait pas autant de président·es d’université réclamant des moyens supplémentaires pour que la parole libérée de leur communauté soit bien entendue [14]. C’est bien grâce au partage, au soutien et à la dénonciation collective des violences masculines subies par des étudiantes ou des collègues, que certains établissements déploient des plans de formation ambitieux ou que d’autres créent des services égalité dotés en personnels formés.

Il y a urgence à poursuivre ou engager ce combat syndical pour l’égalité. Pas un combat que l’on mène « quand il y a le temps » ou que « tout le reste a déjà été fait ». Ne croyons pas aveuglément l’employeur et agissons pour faire en sorte que les missions égalité ne soient pas que de la poudre aux yeux, mais de véritables leviers de contre pouvoir pour l’émancipation de tous et toutes. Prenons exemple sur ce qu’ont réussi à faire de nombreuses copines féministes partout autour de nous. À la Région Île-de-France, les membres du groupe genre égalité (GGE) de la CGT Spercrif se sont données les moyens de cette exigence [15] : enquête sur les violences sexistes, sexuelles et lgbtphobes au travail ; occupation de l’espace de travail et syndical avec plusieurs campagnes d’affichage et de tractage ; prise de parole publique avec la création d’une chanson féministe et l’organisation de plusieurs réunions à destination des personnels ; travail en intersyndicale pour contrer les mesures de l’employeur et être plus forts et fortes ; stratégie de dénonciation récurrente des inactions de l’employeur et de son plan de labellisation en s’appuyant sur les réalités révélées par les collègues... Tout cela a payé : affichage par l’employeur de la loi en matière de violences sexistes et sexuelles dans les espaces de travail, distribution de brochures du Centre Hubertine Auclert, formation obligatoire de l’encadrement aux violences sexistes et sexuelles, ou encore déblocage d’une enveloppe pérenne de rattrapage salarial pour certaines agentes.

Appliquons la démarche syndicale de la CGT, faisons de l’égalité une exigence. Nous en avons besoin pour vivre et exister.


[1MESR, Vers l’égalité femmes-hommes ? Chiffres clés 2023

[2Ministère de l’Éducation nationale, DEPP, Repères et références statistiques 2023

[3MESR, op.cit., p.38

[4Ibid., p.46

[5Sondage Ipsos pour la Fondation L’Oréal,
2023

[6Observatoire des violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur, 2023 Baromètre des violences sexistes et sexuelles dans l’Enseignement supérieur

[7Observatoire national des discriminations et de l’égalité dans le supérieur (ONDES), Sélection à l’entrée en master :
Les effets du genre et de l’origine - Synthèse de l’étude MASTER2, 2023

[8Article L712-2 du Code de l’éducation

[9ONDES, Les actions pour l’égalité des établissements d’enseignement supérieur : un état des lieux - Synthèse de l’enquête REMEDE, 2023, p.1

[10ONDES, Rapport d’étude n°23-03 - Les actions pour l’égalité des établissements d’enseignement supérieur : un état des lieux, 2023, p.5

[11Ibid., p.6

[12Voir la vidéo intitulée « Précarité dans l’enseignement supérieur et la recherche » réalisée par la FERC CGT à l’occasion des élections professionnelles de 2022 : https://www.ferc-cgt.org/precarite-dans-l- enseignement-superieur-et-la-recherche

[13ONDES, op.cit., p.11

[14Voir le communiqué de presse de la CPU du 21 octobre 2021 : https:// franceuniversites.fr/actualite/la-cpu-salue- le-plan-daction-gouvernemental-contre- les-violences-sexistes-et-sexuelles-dans- lenseignement-superieur/

[15Voir l’article rédigée par deux camarades du GGE : https://journals.openedition.org/ glad/34