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mardi 13 février 2024

A quand enfin un salaire égal pour un travail de valeur égale ?

Rachel Silvera
Syndicat CGT FERC Sup de l’université de Versailles Saint-Quentin

Les inégalités salariales restent toujours élevées en France, autour d’un « quart en moins » (Silvera, 2014). Plusieurs facteurs expliquent cet écart, mais il en est un qui reste ignoré la plupart du temps des pouvoirs publics et des employeurs : la majorité des métiers occupés par les femmes sont sous-évalués.

© Jeanne Menjoulet - flickr

Les métiers restent genrés

Malgré la lente réduction de la ségrégation professionnelle, principalement parmi les plus diplômé·es, près de la moitié des femmes en emploi se concentrent dans une dizaine de métiers, des « parois de verre ». Les aides à domicile et aides ménagères, les employées de maison, les assistantes maternelles, les secrétaires, les aides-soignantes, les infirmières, les sages-femmes, les agent·es d’entretien, les hôte·sses de caisse ou encore les enseignant·es ainsi que les cadres administratif·ves (…) restent encore des emplois très largement féminisés, pour certains à plus de 90 %.

Or, et ce n’est pas récent, les emplois ont été construits à partir de stéréotypes de genre, c’est-à-dire de présupposés sur ce que doit être un emploi pour une femme ou pour un homme. Les emplois très féminisés souffrent encore aujourd’hui d’un manque de reconnaissance professionnelle, leurs qualifications étant assimilées à des aptitudes présumées « féminines et naturelles ». Servir, accompagner, éduquer, soigner ou nettoyer ne seraient au fond qu’un simple prolongement des activités domestiques que réaliseraient toutes les femmes dans leur vie personnelle.

D’un côté, les emplois à prédominance masculine, même au bas de l’échelle, sont associés à de vrais « métiers », aux contours bien délimités, avec un vrai rôle dans l’organisation, une « culture métier » forte, des carrières prédéfinies (ouvrier spécialisé, ouvrier qualifié, technicien, ingénieur), une légitimité technique importante et en adéquation avec les valeurs syndicales et les revendications collectives. De l’autre côté, les emplois à prédominance féminine apparaissent plus flous ; beaucoup d’entre eux ont un même intitulé pour une diversité de réalités professionnelles dans la même organisation (notamment les assistantes), cela génère des compétences invisibles, non reconnues, des emplois « fourre- tout », dont les contenus sont assez personnalisés, avec des prises d’initiatives individuelles au-delà du prescrit (Lemière et Silvera, 2010).

Ces réalités ont des conséquences sur les salaires des emplois très féminisés. C’est pour cette raison par exemple que 57 % des smicard·es sont des femmes.

Un cadre juridique de l’égalité salariale jamais appliqué

Le principe spécifique à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes exige pourtant que « Tout employeur assure, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes » (article L. 3221-2 du Code du travail). La loi « Roudy » de 1983, précise : « Sont considérés comme ayant une valeur égale, les travaux qui exigent un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse. » (article L.3221-4). Or de nombreux métiers comparables en termes de complexité et de responsabilité ne sont pas rémunérés au même niveau selon que le métier est plutôt féminisé ou occupé par des hommes.

Comme l’a rappelé la Directive européenne sur la transparence salariale - que la France doit transposer avant 2026 - l’égalité salariale doit se réaliser pour un travail égal mais aussi pour un travail de valeur égale. La loi, sur le plan européen et national, permet donc d’appliquer l’égalité salariale entre emplois différents mais considérés de même valeur. Mais ce n’est toujours pas acté en France…

Comparer les emplois pour l’égalité salariale

Quand nous regardons précisément quelles sont les compétences et qualifications mises en œuvre dans les métiers féminisés, nous constatons alors trop souvent leur sous-valorisation. Par exemple, les diplômes des métiers de service ne sont toujours pas valorisés comme ceux des secteurs techniques et industriels. Ou encore, les compétences relationnelles ne sont que très rarement considérées comme des compétences techniques et complexes. Elles sont assimilées à des qualités personnelles, niant ainsi les connaissances et l’expérience professionnelles pourtant indispensables. Les responsabilités auprès de personnes malades et fragilisées ont bien souvent une moindre reconnaissance que les responsabilités budgétaires ou financières. Être constamment interrompue ou effectuer une multitude de tâches différentes au sein d’un même métier n’est pas reconnu comme de la polyvalence professionnelle. Soutenir – physiquement et psychiquement – un patient en fin de vie, apporter des soins à domicile sans équipements professionnels, ou encore passer des milliers d’articles par heure à une caisse tout en maintenant un sourire commercial, représentent des formes de pénibilité et de charges physiques ou nerveuses, non reconnues pour ces emplois.

L’étude « Investir dans le secteur des soins et du lien aux autres », réalisée pour la CGT par l’Ires (Silvera, dir., 2023), vise justement à mettre en œuvre cette méthode dans ces métiers essentiels, ultra féminisés, du soin et du lien aux autres. La crise sanitaire a en effet été un véritable révélateur des métiers essentiels, ceux que des millions de Françaises et Français ont applaudi tous les soirs de confinement en 2020. Cette prise de conscience est l’occasion de souligner un paradoxe entre l’utilité sociale, essentielle et vitale de ces professions du soin et du lien aux autres occupées majoritairement par des femmes, et leurs niveaux particulièrement faibles de reconnaissance professionnelle et salariale. A partir d’une consultation auprès de 7 000 professionnel·les du secteur, on montre que l’égalité salariale pour ces métiers doit ainsi passer par leur revalorisation professionnelle et par des moyens de retrouver le sens de ce travail. C’est bien parce qu’il s’agit de professions ultra-féminisées que cette reconnaissance reste limitée et que la question des salaires est aussi prioritaire, comme ces professionnel·les l’ont affirmé puisque plus de 88 % ont placé la question salariale comme prioritaire. Par ailleurs, l’étude met en œuvre des exemples de comparaisons d’emplois, par exemple entre sages-femmes et ingénieurs hospitaliers : si ces métiers sont tous à bac+5, si les responsabilités peuvent être considérées comme analogues (responsabilités sur des vies humaines versus encadrement d’équipe), les procédures de recrutement, les évolutions de carrière et les rémunérations, ou encore les conditions de travail sont globalement plus favorables aux ingénieurs. Nous avons démontré que si toutes les revalorisations annoncées se réalisaient, à l’embauche, les sages- femmes seront légèrement gagnantes par rapport aux ingénieurs, mais ce ne sera toujours pas le cas en fin de carrière. Des écarts en faveur des ingénieurs en fin de carrière pourraient dépasser 500 €.

Même si ici et là, des mesures ont été prises face à la crise du covid-19, la revalorisation complète de toutes ces professions est encore loin d’être réalisée. Elle suppose d’impliquer l’État en tant qu’employeur dans bon nombre de secteurs où ces emplois existent mais aussi des entreprises dans le cadre des négociations sur les classifications des emplois.

Bibliographie

Chassoulier Louisa, Devetter François- Xavier, Lemière Séverine, Pucci Muriel, Silvera Rachel (coordination) et Valentin Julie, avec la collaboration de Louis Alexandre Erb (2023), Investir dans le secteur du soin et du lien aux autres : un enjeu d’égalité entre les femmes et les hommes, Étude CGT-Ires, janvier. https:// ires.fr/publications/cgt/investir-dans-le- secteur-du-soin-et-du-lien-aux-autres-un- enjeu-degalite-entre-les-femmes-et-les- hommes/

Lemière Séverine, Silvera Rachel (2010),
« Un salaire égal pour un travail de valeur comparable entre les femmes et les hommes. Résultats de comparaisons d’emplois », la Revue de l’Ires, n° 66, mai.

Silvera Rachel (2014), Un quart en moins. Des femmes se battent pour en finir avec les inégalités de salaires, La Découverte.