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mardi 24 octobre 2023

Réalités du changement climatique

Jean-Marc Nicolas
CGT FERC Sup syndicat Université de Lille

L’avènement du capitalisme (XVIIè siècle) et le début de l’ère industrielle (1850) ont conduit à prélever et à brûler de plus en plus de combustibles fossiles pour alimenter la machine capitaliste en matières premières et en énergie. Cela a perturbé l’équilibre énergétique du système Terre – Atmosphère, amorçant un changement climatique rapide et puissant aux conséquences lourdes pour l’humanité.

La réalité du changement climatique continue à être contestée par des groupes au service des lobbys des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon, …) puissants ou nombreux (complotistes sur les réseaux sociaux). Ces négationnistes du climat continuent à se faire entendre en raison de la différence entre météorologie (prévision du temps à court terme, de 1 à 30 jours) et climatologie (étude statistiques des variables climatiques à long terme, de quelques années à plusieurs millénaires). Notre conscience humaine a du mal à appréhender le changement climatique : nous pouvons tous et toutes observer ou subir ses réalités, comme les canicules répétées, les phases de sécheresse suivies de phases d’inondation, l’érosion des glaciers et le manque de neige ou encore la multiplication des coups de vents. Et les oublier au premier été humide ou après un hiver glacial ! Par ailleurs, si le climat a beaucoup changé depuis la naissance de la Terre, le changement actuel est unique par sa vitesse (quelques siècles plutôt que quelques millénaires) et par son origine anthropique (créé par l’espèce humaine) plutôt que par un phénomène naturel (changement de l’axe de la terre, volcans, météorites...) Pourtant les bases et les preuves scientifiques de ce changement sont anciennes et solidement établies.

Dès le début du XIXè siècle, le physicien français Joseph Fourier (1768 – 1830) appréhende les bases de l’effet de serre, en comprenant que certains gaz de l’atmosphère absorbent une partie du rayonnement solaire (CO2 , vapeur d’eau, méthane...), s’échauffent et diffusent cette énergie sous forme de rayonnement infrarouge. Sans cet effet de serre, la température moyenne à la surface de la Terre serait de -18° C. Parmi les gaz à effet de serre, le CO2, issu de la respiration des organismes vivants comme de la combustion du bois et des énergies fossiles, intéresse très tôt les chercheurs. En 1895, le chimiste Suédois Svante Arrhenius (1859 – 1927) calcul l’effet de l’augmentation du dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère sur la température de surface et théorise l’impact des activités humaines sur le climat. À partir de 1958, le chimiste états-unien Charles Keeling quantifie l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère. Ces mesures ont continué et établissent que nous sommes passés de 315 ppm de CO2 en 1958 à 415 ppm en 2022. Par ailleurs, l’étude des bulles d’air prisonnières des calottes glacières permet d’établir que depuis 12 000 ans (fin de la dernière période glacière) et jusqu’en 1850 (début de l’ère industrielle), la concentration de CO2 était de 280 ppm.

Carte du réchauffement climatique depuis 1850 (NASA, Scientific Visualisation Studio)
https://svs.gsfc.nasa.gov/4964

Depuis 1966 et le début de l’observation de la Terre depuis l’espace, les satellites de plus en plus nombreux et sophistiqués permettent de mesurer à l’échelle globale de très nombreux paramètres essentiels comme la température de la surface terrestre, la hauteur des océans, la composition et la couverture nuageuse de l’atmosphère, ou encore l’évolution de la biosphère terrestre et marine. Ce réseau d’observations spatiales permet un suivi quotidien de notre planète, à la fois pour les prévisions météorologiques comme pour le suivi de l’évolution climatique.


Concentration mensuelle de dioxyde decarbone en partie par million (ppm) - Évolution du CO2 dans l’atmosphère depuis 1958 (Scripps Institution of Oceanography, UCSD)

Enfin, le Groupe d’experts inter gouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est créé en 1988 sous l’impulsion de l’Organisation Météorologique Mondiale. Ouvert à tous les états membres de l’ONU, il regroupe des dizaines de scientifiques chargés de publier régulièrement (5 à 6 ans) une synthèse des travaux scientifiques sur le climat. Le 6è et dernier rapport a été publié en trois parties entre 2021 et 2022. Il présente les bases scientifiques, l’impact et les pistes à envisager pour répondre et atténuer le réchauffement climatique. Sur la base de modèles de circulation générale (GCM), il documente également l’évolution possible du climat selon plusieurs scenarii d’émission de CO2, certains très optimistes (émissions nulles de CO2 en 2050) jusqu’à des scenarii très pessimistes (doublement des émissions de CO2 en 2050), ainsi que la sensibilité grandissante de nos sociétés à cette évolution. Le GIEC souligne l’accélération des émissions de CO2 : sur les 2400 Gt (milliards de tonnes) de CO2 émises depuis 1850, 58 % l’ont été entre 1850 et 1989, et 42 % entre 1990 et 2019 (30 ans) !

Le GIEC identifie également les principaux émetteurs par continent et par secteur d’activité. Ainsi, l’Asie de l’Est (Chine et Japon) est devenue la principale région d’émission (27%) devant l’Amérique du Nord (12%), l’Amérique Latine (10%), l’Asie du sud-est (9%), l’Afrique (9%) et l’Europe (8%). Ramené au nombre d’habitants, par contre, c’est l’Amérique du Nord (23%), l’Europe (16%) et l’Asie de l’est (12%) qui sont en tête. Enfin, les principaux secteurs d’activité émetteurs de CO2 sont les secteurs de l’énergie (34% dont 22 % pour l’électricité et le chauffage), l’industrie (24% dont 20 % pour la production de ciment et d’acier), l’agriculture (22%), les transports (15%) et le bâtiment (6%).


Évaluation du réchauffement climatique d’ici 2100 selon les différents scénario du GIEC ; ce réchauffement s’échelonnerait de +1,4 à +4,4°C en 2100 (6è rapport d’évaluation du GIEC, 2021)

Ces faits scientifiques solidement établis n’ont pas permis, jusqu’ici, que les pouvoirs en place (gouvernements, multinationales, finances, …) réagissent. Les Conférences des Parties (COP) se succèdent mais les engagements pris ne sont pas respectés. Ainsi, seuls 20 à 25 % des 100 milliards d’aide promise en 2015 aux pays les plus exposés ont été engagés [1]. Pire encore, banques et gouvernements continuent à financer massivement le secteur des énergies fossiles, à hauteur de 673 milliards de $ pour les banques [2] et de 1400 milliards de $ d’argent public pour les gouvernements des pays du G20 [3] !

Cette gabegie montre, s’il le fallait, que la logique d’accumulation sans fin et de prédation du système capitaliste empêche l’humanité d’agir pour conserver une planète respirable. La fuite en avant est occultée par la propagande climato-sceptique ou par la publicité faite aux utopies technologiques (voiture et avion électriques, captation du CO2, occultation du soleil depuis l’espace, fusion nucléaire, …). Sans parler des propos tristement ubuesques de certains économistes qui chiffrent le « coût » d’une augmentation de 5°C, « coût » qu’un marché encore plus « libre et non-faussé » pourrait selon eux facilement absorber [4] !
La hauteur du mur climatique nécessite, pour le franchir, une transformation en profondeur de l’organisation de nos sociétés et la mobilisation de toutes les forces humaines pour découvrir, développer et déployer les solutions alternatives. Le travail, donc le syndicalisme, sera au cœur de cette révolution...


[2Le Monde, Les banques continuent de financer largement le secteur des énergies fossiles, 13 avril 2023

[3Médiapart, Les pays riches n’ont jamais autant financé les énergies fossiles, 28 août 2023

[4L’Illusion de la finance verte, Alain Grandjean et Julien Lefournier, 2021