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mardi 24 octobre 2023

Pour un syndicalisme écologique de classe, redécouvrir l’histoire commune des luttes sociales et environnementales

Alexis Cukier
CGT FERC Sup Université de Poitiers

La nécessité d’une écologisation du travail, conduite par les travailleur·ses pour conjurer les catastrophes environnementales causées par le capitalisme, appelle un grand débat au sujet du type d’écologie que le syndicalisme de classe doit porter aujourd’hui. Dans cette perspective, il est urgent de redécouvrir l’histoire commune des luttes sociales, notamment ouvrières, et des luttes environnementales, ainsi que du marxisme et de l’écologie politique.

© Jeanne Menjoulet - flickr

Redirection écologique : les travailleur·ses en première ligne, le rôle central des syndicats

L’idée selon laquelle ce sont les travailleurs et les travailleuses qui doivent conduire la nécessaire redirection écologique de la production et pour cela conquérir de nouveaux droits et pouvoirs, progresse ces dernières années en France, même si elle demeure encore marginale dans le mouvement écologiste comme dans le mouvement ouvrier. Les producteur·trices sont de fait en première ligne pour adapter leur travail aux nouvelles conditions causées par les catastrophes écologiques (réchauffement climatique, pandémies, pollutions…), et surtout disposent en premier lieu des connaissances et savoir- faire pour atténuer ces catastrophes et inventer des manières de décarboner, dépolluer et dé-intensifier la production afin de répondre aux besoins des habitant·es et citoyen·nes sans détruire les écosystèmes. Il n’y aura donc pas de bifurcation écologique sans écologisation du travail, et pas d’écologisation du travail sans luttes ouvrières et alliances entre travailleur·ses et habitant·es pour conquérir ensemble des pouvoirs de décision et de contrôle démocratique sur le travail. Dans un tel processus de révolution écologique et sociale, le syndicalisme de classe a un rôle central à jouer. Mais pour que nous puissions construire cet éco-syndicalisme de combat, il nous faut aussi réévaluer et nous réapproprier notre propre histoire.

Du XIXe au XXIe siècle, penser ensemble luttes syndicales et environnementales, marxisme et écologie politique

Contrairement à une opinion répandue, les histoires des luttes syndicales et des luttes environnementales ont été étroitement liées en France, et n’ont pu être séparées que par des opérations idéologiques ultérieures. L’historien du XIXe siècle François Jarrige rappelle ainsi, par exemple, que les luttes – souvent communes aux ouvrier·es et paysan·nes – contre les pollutions industrielles, dues notamment aux industries textiles, houillères et métallurgiques dans le Nord, ont été structurantes pour le développement du mouvement ouvrier.

Et l’historien du XXe siècle Renaud Bécot montre qu’il existe une histoire écologiste propre au mouvement syndical, notamment à partir des années 1960 : luttes ouvrières suite aux explosions et pollutions industrielles (raffinerie de Feyzin, implantations pétrochimiques de Pierre-Bénite), contre l’intoxication au plomb dans les usines Peñarroya à Saint-Denis et à Lyon, contre l’amiante notamment menées par les ouvrières de l’usine Amisol à Clermont-Ferrand, enquêtes ouvrières et mobilisations contre les risques du nucléaire à Saclay et la Hague, etc. Dans ces luttes portées principalement par des militant·es de la CFDT et de la CGT, les syndicalistes critiquent radicalement les dégâts environnementaux de l’industrie sur la santé des travailleur·ses et le cadre de vie des habitant·es, apprennent à travailler avec les riverain·es et les organisations écologistes. Une telle redécouverte est également nécessaire dans le champ théorique : par exemple, le marxisme écologique a montré que Marx a amorcé en son temps une critique écologique du capital à partir de lectures scientifiques au sujet de la destruction des éco-systèmes par l’agriculture capitaliste, et réactualise et complète aujourd’hui cette critique autour de concepts tels que la rupture métabolique (J. B. Foster), le capitalisme fossile (A. Malm), l’écosocialisme (M. Löwy) ou le communisme de la décroissance (K. Saito).

© Paola Breizh - flickr

Pour développer l’éco- syndicalisme, se former, enquêter et débattre

Les alliances récentes entre syndicalistes et écologistes (Appel pour des forêts vivantes, reprise de la papeterie Chapelle- Darblay, luttes à la raffinerie de Grandpuits, contre les méga-bassines, etc.) prolongent cette riche histoire d’une « écologie des communautés ouvrières » (S. Barca), au sein de laquelle l’écologie syndicale a toujours été et doit rester centrale. Pour contribuer à dépasser les obstacles qui se dressent face à l’écologisation du syndicalisme, comme à la « laborisation » du mouvement écologiste, et pour renforcer leurs alliances – qui demeurent difficiles, comme en témoigne le départ récent de la CGT de l’Alliance écologique et sociale –, il est urgent d’organiser une démarche collective de mémoire populaire, de formation et d’enquête militante. Reconstituer cette histoire commune constitue une condition fondamentale du développement et de la victoire des luttes sociales et écologiques.