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jeudi 22 octobre 2015

Primes à la performance : ce que révèle l’auto-censure

Quelle différence existe-t-il entre une indemnité statutaire et une prime attribuée sur critères de performance ? La seconde ne peut bénéficier qu’à une fraction des agents qui y sont éligibles, et implique donc un processus de sélection. Il s’agit d’opérer un tri, en principe sur des critères objectifs de résultats entre personnes de même statut. Lorsque l’on examine les procédures qui régissent cette sélection – comment sont constitués les comités d’attribution, sur quels critères les dossiers sont évalués, etc. – on oublie bien souvent qu’il existe une première étape décisive de ce processus. Pour que la commission examine un dossier, il faut que celui-ci ait été déposé, que l’agent ait fait acte de candidature. Il en va de la prime d’excellence comme du loto : tous les gagnants ont tenté leur chance. Et cette première étape du tri, qui s’opère en dehors de toute discussion collective, s’avère parfois déterminante.

L’UPMC vient de réaliser un rapport d’une quarantaine de pages sur l’ensemble de sa politique indemnitaire. Il offre une vision exhaustive de la façon dont près de 9 millions d’euros sont attribués chaque année aux quelques 5300 personnels de l’université. L’une des primes importantes pour les enseignants chercheurs est la PIR, ou “prime d’investissement recherche”. Cette prime est censée venir récompenser, pour un montant annuel net de 3500 à 7000 euros, une activité de recherche particulièrement intense.

La proportion des enseignants-chercheurs bénéficiant de cette prime est relativement faible, de l’ordre de 10%. Pourtant, près de 70% des dossiers examinés sont retenus par les comités de sélection (jusqu’à 80% pour les professeurs). La raison est simple : moins d’un enseignant sur cinq dépose un dossier de prime. La comparaison de ces deux chiffres (taux de soumission et taux de sélection) démontre que l’essentiel de la sélection est le résultat d’une forme d’auto-censure, qui conduit l’immense majorité des personnels à ne simplement pas déposer de dossier. Compte-tenu du poids de ce premier filtre dans le résultat final, il met sérieusement en doute la légitimité de cette prime au regard des critères affichés, quels que puissent être par ailleurs les efforts engagés pour garantir un examen sérieux des dossiers.

Pour la première campagne PIR en 2013, 13% des enseignantes-chercheuses ont déposé un dossier, contre 21% de leurs collègues masculins. A l’arrivée, la prime a bénéficié à 7% des femmes et 15% des hommes éligibles. On le voit, cette inégalité de genre tient bien moins à un possible sexisme des comités (qui sont intégralement paritaires) qu’à une différence d’attitude entre les femmes et les hommes vis à vis de leur participation à une telle compétition. Déposer ou non un dossier de PIR est un décision individuelle et privée, rarement discutée collectivement, et il est difficile de se faire une idée précise des motivations qui conduisent certains à déposer un dossier, et d’autres à s’abstenir. On peut néanmoins émettre quelques hypothèses. La première est que la confiance en soi, en la qualité de son travail, peut être relativement découplée de la réalité objective de la valeur de ce travail. Elle peut relever de dispositions psychologiques et sociales qui n’ont que peu de lien avec la compétence professionnelle. En second lieu, elle peut également dépendre des modes d’organisations dont sont dotés les laboratoires ; il est probable que dans des groupes organisés de manière peu hiérarchiques, les enseignants chercheurs soient moins enclins à réclamer à titre personnel une prime pour une activité qu’ils considèrent avant tout comme le fruit d’un travail collectif.

Les résultats de la PIR illustrent ainsi à quel point de tels dispositifs sont illégitimes et injustes, mais aussi qu’ils s’inscrivent dans une politique de formatage de la recherche. Ils constituent avant tout une incitation pour les personnels à adopter une attitude d’entrepreneur, de compétiteur, si chère à M. Macron, excluant de manière quasi-invisible les enseignants-chercheurs qui persistent à envisager leur travail comme une activité collaborative et solidaire. Ces mêmes remarques valent pour les appels d’offres individuels - ERC, ATIP, etc. - qui invitent les chercheurs à mettre en avant leur “excellence” individuelle, leur capacité à s’affirmer dans la compétition, qui exige d’eux une totale autonomie à l’égard de leurs collègues. Les taux relativement faibles de soumission à ces appels, tout comme aux dossiers PIR, en dépit des efforts renouvelés des tutelles pour élargir la participation des personnels, peut s’interpréter comme une forme de résistance encourageante à cette injonction à l’individualisme.