"Pour un Service public national d'Enseignement supérieur et de Recherche laïque, démocratique et émancipateur"

Menu ☰

Accueil > Syndicats > Auvergne-Rhône-Alpes > Université de Grenoble

mardi 3 novembre 2020

Syndicat CGT Université de Grenoble

LPR : les libertés académiques en danger

En plein rebond de la crise sanitaire, le gouvernement met un coup d’accélérateur pour faire passer la LPR coûte que coûte. Trois amendements ont été adoptés par le Sénat lors du débat sur la LPR, portant sur les libertés académiques et le rôle du CNU.

Les amendements 147 [1] et 234 [2] aux contours extrêmement flous cherchent à mettre au pas les libertés académiques dans l’Enseignement Supérieur.

L’Université est en effet un lieu de connaissance et d’émancipation duquel émerge des idées et théories nouvelles du fait de la constante remise en question du monde qui nous entoure. Débattre, se contredire, et questionner ce qui semble immuable fait partie de l’enseignement académique, de la recherche et de l’émancipation intellectuelle inhérente à ces activités. La garantie des libertés académiques et de l’indépendance des enseignant.e.s-chercheur.e.s sont à cet égard fondamentales. Or, ces amendements viennent subordonner les libertés académiques à l’orientation politique du gouvernement. Que sont "les valeurs de la République" ? On voit bien ces derniers jours que les contours et la définition de ces valeurs font elles-mêmes débat… Est-ce que demain, critiquer le gouvernement, étudier et publier sur l’islamophobie ou le racisme d’État en France sera condamné d’une atteinte aux « valeurs de la République » ? Ces dispositions vont également à l’encontre du principe constitutionnel d’indépendance des professeurs d’université et des maîtres de conférence [3].

Quand Macron juge que « le monde universitaire a été coupable » d’avoir « cassé la République en deux » par des études critiques en sciences humaines et sociales, doit-on conclure que ces sciences ne seront plus financées/enseignées pour ne pas porter atteinte aux « valeurs de la République » ? C’est une attaque ignoble et à la fois un prétexte pour encore réduire les financements aux études critiques, qui ne correspondraient pas aux « axes de recherche » promus par des Universités et des organismes de recherche publique à la botte du gouvernement. Rappelons que le CNRS a été entaché par plusieurs affaires de candidats classés premiers au concours puis déclassés, vraisemblablement en raison de l’approche critique qu’iels avaient choisi [4].

Et que signifie « entraver la tenue d’un débat » ? Est ce que l’envahissement des Conseils académiques sera puni d’emprisonnement ? Les divers conseils académiques ne permettent pas réellement l’exercice d’une démocratie universitaire. En effet les oppositions aux directions d’université existent pourtant, mais la nature des débats et les systèmes de votes leurs permettent trop rarement de faire prévaloir leurs visions. Et lorsque ces oppositions remportent un vote, les universités ne se gênent pas pour attaquer devant les tribunaux administratifs ces délibérations et les faire tomber coûte que coûte, comme à Paris I en juin dernier. L’envahissement des conseils reste un moyen de se faire entendre, lorsque les directions n’écoutent plus. Ils permettent de faire irruption dans des débats qui n’en sont plus, et d’imposer une discussion et une réaction de la part de celles et ceux qui n’écoutent plus les oppositions. L’envahissement des conseils exprime la contestation du fonctionnement d’institutions universitaires qui se parent des oripeaux de la démocratie, en ne lui donnant que trop rarement une réelle existence. L’envahissement est un moyen démocratique de provoquer la discussion et le débat et d’obtenir des réponses lorsque les institutions ne le permettent pas. Risque-t-on de voir des participant.e.s à ces envahissements sanctionné.e.s par des peines de prison ? C’est la démocratie universitaire qui est ici attaquée.

Quant à l’amendement 150, il supprime ou facilite le contournement de la procédure de qualification préalable au recrutement des enseignant·e·s-chercheurs·ses (EC). Cette procédure nationale, effectuée par le CNU, est un des derniers remparts au statut des EC, leur permettant, par une instance nationale majoritairement élue, de définir collectivement la nature de leur métier et de leur discipline. Cette nouvelle attaque contre le CNU est un cadeau de plus aux mandarinats et aux directions locales, qui pourront ainsi à l’avenir recruter qui bon leur semble, sans se soucier du contrôle et de l’évaluation nationale des candidat·e·s par les pairs.

Au vu des politiques des différents gouvernements qui se sont succédées, qui ont malmenées l’ESR par différentes réformes (LRU 2007, Parcoursup 2018, Bienvenue en France 2019...), ces amendements ne vont pas vers une amélioration des conditions de travail dans l’ESR. Au contraire, il s’agit de mettre au pas des enseignant-es chercheur-ses qui dénoncent la dégradation de leurs conditions de travail, qui se sont mobilisé.e.s contre la LPR. Le gouvernement Macron choisit un nouvel instrument, celui d’une criminalisation de leur travail et une répression accrue contre celles et ceux qui relèvent la tête.

Alors que les personnels de l’ESR demandent avant tout plus de moyens pour faire face à la crise sanitaire et plus généralement à l’augmentation de la charge de travail, le gouvernement répond par des amendements liberticides. C’est inacceptable !


[1Amendement 147 (Laurent Lafon, union centriste, adopté avec soutien du gouvernement) : « Le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but d’entraver la tenue d’un débat organisé dans les locaux de celui-ci, est puni d’un an d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende. »

[2Amendement 234 (Laure Darcos, LR, adopté avec l’avis "extrêmement favorable” de F. Vidal) : « Les libertés académiques s’exercent dans le respect des valeurs de la République. »

[3Principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR), voir notamment les décisions du Conseil Constitutionnel : Décision n°83-165 DC du 20 janvier 1984 et Décision n° 94-355 DC du 10 janvier 1995